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REVUE SCIENTIFIQUE

PHYSIOLOGIE DE L’AÉROPLANE

Avant la guerre déjà, il n’était personne dans le public qui ne fût enthousiasmé des progrès stupéfians de l’aviation, étonné de ses promesses, rêveur devant son avenir. Dans ces sentimens il y avait quelque chose d’un peu mystique ; l’avion avait réappris aux foules à lever leurs regards vers le ciel, vers cette petite bulle d’air qu’est l’aérosphère, vers cet azur qui, parce qu’on n’en voit pas la limite pourtant bien proche, a évoqué de tout temps l’idée de l’infini. On l’avait désappris, ce geste, qui n’est, quoi qu’en pense Ovide, nullement spontané chez l’homme ni conforme à sa conformation vertébrale ; il faut en effet que le tendre poète latin ait été curieusement réfractaire au torticolis pour croire que l’os sublime est réellement et naturellement humain.

Les merveilles accomplies par l’aéroplane, ses « performances, » comme on dit dans un certain argot, que la guerre a amplifiées et fait rebondir sur son dur tremplin, les vitesses et les altitudes atteintes par l’aviateur, les poids qu’il emporte, les trajets immenses qu’il parcourt, les culbutes même qu’il est capable de faire impunément et qui défient audacieusement la pesanteur, tout cela a dépassé beaucoup ce qu’on avait rêvé. Dans l’espace millénaire et pourtant bien bref qui s’étend du rêve puéril d’Icare aux exploits de nos modernes pilotes de l’air, il y a tout ce qui sépare le mythe du réel, l’espoir de la possession, la fiction de l’être. Et, comme chaque fois qu’on aborde dans un de ces havres superbes que la science a creusés, l’antithèse ici n’est nullement en faveur de la légende, et la réalité monte à des hauteurs où n’avaient point atteint les ailes dorées de la fantaisie.