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celles qui suivirent furent terribles au cœur de tous les vrais Français. A la fin de février, avant la signature de la paix, Mme Buloz écrivait à son amie : « Nous attendons la paix, quelle paix, chère amie ! Ils salissent jusqu’à ce nom ! C’est l’égarement de notre pays qu’il faut dire ; et Mme Buloz trouvait « Paris, à ces heures d’attente, plus triste qu’aux plus cruels jours de la défense. — Alors « les rues étaient vides, on entendait le canon, et parfois un obus venait s’écraser à notre porte, mais on avait le sentiment de l’action. A cette heure, tout est mort, espoir et défense... de grandes bandes de soldats désarmés, inoccupés, se traînent le long des quais et des boulevards, ne sachant que faire de leur temps... Comment ne trouve-t-on pas moyen d’employer tous ces bras vigoureux, quand ce ne serait qu’à déblayer les routes, et à faire l’exercice... Cette incurie nous a perdus, et nous perdra encore, je le crains bien [1]. »

Pendant ces heures-là, on négociait : « Ces négociations ont été horribles, jamais vaincus n’ont été ainsi écrasés, humiliés, outragés dans leur impuissance, écrivait Jules Favre... Quand il fallut mettre le sceau à cette exécution, j’ai cru que j’allais mourir...Les Allemands étaient rayonnans, je souffrais tant, que leur joie avait cessé d’être une insulte. » Et encore : « M. Thiers a supporté cette épreuve héroïquement, mais, quand nous sommes remontés en voiture, il a fondu en larmes. Nous sommes venus ainsi jusqu’à Paris, lui pleurant toujours, moi étouffant et foudroyé... J’aurais voulu être au cercueil [2]. » Ces lignes sont du 27 février 1871 : les lire une fois, c’est ne les oublier jamais.

Deux jours après, le 29, Mme F. Buloz écrivait à Nohant encore : « Ma chère amie, les articles de la paix sont arrêtés, vous les trouverez d’une abominable rigueur. Cependant, sans l’intrépide persévérance de M. Thiers à défendre pied à pied chaque lambeau qu’on voulait nous arracher, nous aurions été bien autrement et radicalement dévorés.

« La question de la limitation du contingent a manqué faire rompre la discussion. M. Thiers a menacé de se retirer si aucun des articles permettait une ingérence quelconque dans nos affaires de la part de la Prusse, — 1807 était toujours là à propos, pour soutenir une prétention. Enfin, ma chère amie, buvons ce calice rempli de tant d’amertume...

  1. Collection S. de Lovenjoul. Mme F. Buloz à George Sand, F. 240. Inédite.
  2. Lettre de Jules Favre à Jules Simon, 27 février 1871.