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de fonctionnaires, de rentiers, de retraités et de prêtres, de religieux de nonnes. Les gens de Louvain, des furieux ? « On ne peut s’empêcher de rire, en lisant cela. Seulement, c’est un rire qui devient un sanglot, si l’on pense à tout ce que la plus innocente des cités a dû souffrir ; et c’est un rire qui devient une haine frémissante. Mais, mais, il y a un Dieu et le sang versé à Louvain crie vengeance au ciel plus haut que le sang d’Abel ! »

Cinquièmement, il n’est pas vrai que les Allemands, à la guerre, méprisent le droit des nations civilisées ; les soldats allemands n’ont point à se reprocher un crime de « cruauté indisciplinée. » Allons ! ceci est pire : la cruauté disciplinée ; et quel aveu !

Sixièmement, il n’est pas vrai que notre militarisme se distingue de notre « culture ; » l’armée allemande et le peuple allemand ne font qu’un. — Tant pis pour le peuple allemand ! — Mais les Quatre-vingt-treize, en concluant, se réclament de leur Goethe, et de leur Beethoven, et de leur Kant… « Qu’est-ce qu’un Beethoven et un Goethe peuvent avoir à faire avec ceux qui brûlèrent Louvain et bombardèrent Reims ? » Kant ? « Mais un Eucken et un Wundt doivent pourtant savoir que, le testament de Kant, sa pensée pour l’avenir, c’était les États-Unis d’Europe et la paix perpétuelle ! Pourquoi alors rappellent-ils sa grande ombre du royaume des morts ? »

Les six démentis allemands, M. Joergensen les a réfutés avec entrain. Six fois, il a surpris l’astuce des avocats frauduleux et il leur a vivement rabaissé leur caquet. Sa critique est fine, adroite. Elle est passionnée ; mais passionnée, après la découverte des mensonges : équitable, d’abord. L’auteur de la Cloche Roland ne désirait pas de trouver les Allemands coupables. Il n’avait contre eux aucune haine ; et peut-être n’avait-il pas, pour notre pays, une amitié particulière. Je n’en sais rien ; je crois pourtant que cette amitié particulière, s’il l’avait éprouvée, on la sentirait dans ce livre qu’il a écrit pendant la guerre, pendant la douleur et pendant l’héroïsme de la France. « Cette noble France, cette chevaleresque France, dont l’art… » etc. Et : « ce peuple de fine culture… » Oui, nous lisons ces mots aimables, dans la Cloche Roland ; mais l’auteur de la Cloche Roland les attribue à son interlocuteur allemand : c’est un Allemand qui affecte de prononcer ces mots aimables, pour donner à entendre que l’Angleterre a fait tout le mal. M. Joergensen plaint amèrement le martyre de la Belgique ; et, le martyre de la France, il ne l’ignore pas, mais il le néglige, ou il a l’air de le négliger. Peu importe ; et, en quelque façon, cela vaut mieux, si l’impartialité de ses jugemens est ainsi plus