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comme autrefois nos romantiques la voyaient, simple et honorable, et chaste buveuse de bière, si rêveuse ! Il l’a vue avec une espèce de naïveté complaisante et comme si son maître Henri Heine ne l’avait point averti de chercher, sous les benoîtes apparences, les velléités de barbarie. Jacques de Coussanges, qui a traduit le dernier ouvrage de M. Joergensen, La Cloche Roland, dit que M. Joergensen fréquenta surtout le clergé rhénan et qu’il avait ses meilleurs souvenirs d’Allemagne dans les couvens et les églises. Ce voyageur était un pèlerin, même avant sa conversion décisive ; et il était « en route. » L’Allemagne catholique le conduisait au pays du Poverello.

En somme, il avait de la gratitude à l’égard de l’Allemagne ; et, quand la guerre a éclaté, il ne songeait pas du tout à renier sa gratitude.

Quand la guerre a éclaté, il songeait principalement à sainte Catherine de Sienne. Il songeait doublement à elle, en dévot sincère et en homme de lettres. Il préparait une Vie de sainte Catherine, qui a paru l’année dernière à Copenhague. Et il demeurait à Sienne, copiait des documens, des paysages, travaillait de son mieux. Sa Vie de saint François d’Assise révèle sa méthode. Il réunit avec beaucoup de soin tous les textes et il en fait judicieusement la critique. Il examine l’œuvre des érudits et il y démêle très bien la conjecture et la réalité. C’est un hagiographe malin. Puis il ne se contente pas de rédiger ce qu’il a finalement appris de plus authentique : l’érudit devient un poète, et qui « reconstitue » les scènes les plus émouvantes, les plus jolies... « Un matin, il y a de cela sept cents ans, dans la ville d’Assise un jeune homme qui commençait à renaître d’une longue maladie, s’éveilla de son sommeil de la nuit. Les volets de sa chambre étaient encore fermés. Un puissant rayon de soleil pénétrait dans la chambre close, par la fente des volets... » Probablement ! Et l’auteur du Saint François invente, avec une délicate justesse, les probabilités menues de l’histoire. Il n’est pas de méthode plus gracieuse, ni plus imprudente. S’il faut l’avouer, je préfère l’histoire un peu plus modestement bornée à de moindres certitudes. Mais enfin, l’auteur du Saint François et de la Sainte Catherine essaie de limiter son imprudence ou de la bien diriger ; il tâche de maintenir son imagination toute proche de la réalité que la critique lui procure. Il a, pour cela, besoin d’un silence parfait, d’une tranquillité parfaite ; il a besoin de se recueillir, avec la seule pensée de saint François ou de sainte Catherine, loin, très loin des nouveaux tumultes et du divertissement moderne.. Aussi la guerre qui a éclaté pendant qu’il était tout à