Joergensen, je n’aperçois, dans aucun de ses ouvrages qu’une traduction française ait mis à ma portée, aucune trace de telle rancune à l’égard de l’Allemagne. Il me semble même que, jusqu’à ces derniers temps, M. Johannes Joergensen aimait l’Allemagne et l’aimait assez tendrement. Avant de venir au catholicisme, il a subi l’influence de Gœthe, celle de Heine, celle de ce Nietzsche, qui est Allemand, bien Allemand, quoiqu’on essaye maintenant de le dégermaniser, et qui est l’un des bons représentans de la mégalomanie allemande. M. Johannes Joergensen a été longtemps à l’école de la pensée allemande ; et M. André Hallays n’a pas tort, quand il voit, dans le Livre de la route, de charmans « Reisebilder évangéliques. » A la veille de sa conversion, le jeune écrivain Scandinave, délaissant la Scandinavie et M. Georges Brandes, part pour l’Italie ; et c’est en Ombrie que la grâce le touchera. Mais il ne va pas en Italie tout de go : il flâne longtemps et avec plaisir en Allemagne. A Nuremberg, la Fontaine des Vertus lui montre l’Espérance et le Courage, la Foi et la Douceur, l’Amour et la Vérité, vertus admirables et toutes dominées par la plus haute des vertus, qui est la Justice. Un tel symbole lui paraît si important qu’il le médite et n’ouvre pas son parapluie, malgré l’averse ; puis il s’en va, mouillé, mais content d’avoir reçu l’enseignement de Nuremberg. Il se promène à Anspach, à Rothenbourg-sur-la-Tauber. Les petites villes bavaroises lui donnent l’idée d’une vie douce et quiète, que l’humilité sanctifie. Il est au cœur de l’Allemagne ; « l’âme de la profonde et sentimentale Germanie » l’enchante. Au monastère de Beuron, dans la principauté de Hohenzollern-Sigmaringen, il passe un jour ou deux. Il fait ainsi connaissance avec la règle des communautés catholiques ; et il devine la force qui naît de la solitude. Or, ce n’est point au catholicisme qu’il attribue cette découverte et la révélation de cette vérité ; mais il a cru entendre « une parole jaillie du cœur même de la race germanique. » Au moment de quitter l’Allemagne et dépasser en Italie, le voyageur célèbre « l’Allemagne, la vaste et vénérable Allemagne qui va de Passau à Nassau, de Ratisbonne à Strasbourg, de Brème à Constance, l’Allemagne toute pleine de bière et de vin, de parfum de tilleul et de chants populaires, et de saucisses et de tavernes, mais aussi d’art et ie foi, et de beaux lacs et de villes merveilleuses. » Le voyageur s’attendrit, quand ses « jours allemands » s’effacent derrière lui. D’ailleurs, ce qu’il a visité, ce n’est pas l’Allemagne nouvelle, industrielle et militaire ; il a recherché les petites villes où se confine la vieille Allemagne : et, cette vieille Allemagne, il l’a vue à peu près
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