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« C’est là ce qui m’attriste et m’inquiète. Espérons cependant encore que la terrible crise, qui va suivre celle de nos désastres, produira quelques hommes nouveaux pour refaire la France, et reprendre vigoureusement l’œuvre de salut.

« Je vous écris aujourd’hui cette lettre que je prie mon gendre de mettre à la poste à Châteauroux, car celle de Paris ne va pas encore, et Pailleron, allant rejoindre sa femme à la Rochelle, est une voie plus sûre que la poste allemande, qui nous inflige l’humiliation de ne recevoir nos lettres que décachetées.

« J’ai eu de vos nouvelles par M. Plauchut et vous avez bien fait de rester à Nohant, car vous auriez été dans la nécessité de déménager pour éviter les obus, comme nous avons été sur le point de le faire [1].

« Ma foi ! nous avons bravement persisté, ma femme et moi ; mais dans notre maison, beaucoup se sont éloignés. Maintenant, à part les obus, la situation n’est guère plus facile pour la Revue, qu’il faut cependant continuer pour ne pas rendre les armes aussi aux Prussiens, car la moitié de nos collaborateurs sont loin de Paris, et si vous le pouviez, si la tristesse des temps ne vous a pas fait tomber la plume des mains, venez le plus tôt possible à notre secours...

« Vous verrez, quand je pourrai vous envoyer ces cinq mois de siège (car cela ne m’est pas permis encore), que nous avons combattu autant que nous le pouvions. Mais cela n’a servi de rien. Hélas !

« Si j’étais moins vieux, c’est maintenant que la Revue aurait une belle et utile campagne à faire pour tout reformer dans ce cher pays, si mal conduit, et si énervé aussi. Je l’essaierai si les jeunes esprits, môles à de pures intelligences, veulent mettre leurs forces à cette œuvre nouvelle, qui pourrait faire une nouvelle France, si on s’y mettait de tous côtés [2]. »

George Sand répondit aux sollicitations de son directeur en lui envoyant le Journal d’un voyageur pendant la guerre, livre précieux et émouvant toujours ; de telles œuvres, d’ailleurs, ne se démodent pas, elles ressemblent à ces beaux rosiers vigoureux et vermeils qui fleurissent en toute saison.

Les angoisses du siège avaient été cruelles et sanglantes,

  1. George Sand à Paris avait un appartement rue Gay-Lussac.
  2. Collection S. de Lovenjoul. — F. Buloz à George Sand, F. 234. Inédite.