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débarbouille, maintenant ! » Un peu rouge, il lui livre son bon visage qu’elle éponge tendrement, fraternellement, avec d’infinies précautions : « Au moins, je ne vous fais pas de mal ? » Lui, se prend d’un gros rire : « Ah ! vous pouvez racler, allez ! » Il trouve qu’elle ne frotte jamais assez fort.

Enfin, la soupe, la bonne soupe, le bouillon, dans les quarts, brûlant... Ceux qui n’ont qu’un bras droit, on les installe sur le marchepied du wagon, une cuiller dans la main, leur soupe à côté d’eux. Les invalides, on les aide, à la becquée, comme de tout petits, en soufflant la cuillerée fumante.

Pain, chocolat, grog, café, lait, vin, le petit poste se vide. Les quatre wagons du secteur ne contiennent plus que ceux que leur mal immobilise. Les visages se détendent, les langues se délient. Réchauffés, restaurés, soulagés, ils se mêlent aux infirmières maintenant ; c’est de nouveau la foule rouge, bleue et blanche, le bourdonnement et l’animation d’une foire.

Pendant ce temps, les docteurs passent, traçant le travail de leurs infirmières. Il y a toujours des pansemens défaits, des plaies à vif, des pansemens trop serrés, des hémorragies, des cas pressans. Ceux qui ne peuvent aller plus loin attendent sur des brancards leur transport aux hôpitaux de la ville. On panse dans les wagons, on panse sur les quais, des bras, des jambes, des torses, des têtes. Des lambeaux de toile maculée traînent partout, on piétine des tampons d’ouate, l’eau des cuvettes est rouge, les tabliers et les blouses blanches se tachent de sang, les doigts s’enfièvrent, les ordres s’exaspèrent, les aides ont à répondre à quatre demandes à la fois... Il y a tant à faire, et le temps est si court !

N’importe ! En deux heures, tout le train est visité, et lorsque, de nouveau, s’ébranle le long convoi, ce n’est plus le pauvre train mort, le train accablé et silencieux de l’arrière. Toutes les têtes sont aux portières, des faces heureuses et consolées, des yeux brillans, de bons sourires. Un déluge de merci, un délire de cris, mouchoirs, bras, mains, képis, s’évertuant à témoigner une gratitude véhémente.

Et quand l’immense clameur partie d’un bout à l’autre du train les salue au passage : « Vive la Croix-Rouge ! » la gorge contractée en un profond sanglot, elles se tiennent toutes là, près de leurs compagnons, debout, comme au port d’armes, tandis que les wagons défilent devant elles, leur train et leurs soldats !