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s’écrasait, avide de contempler ceux des leurs qui revenaient de là-bas. Le crépuscule d’été. Les taches blanches des groupes de femmes échelonnées de poste en poste. De l’impatience. De l’anxiété. De la surexcitation. Et l’allégresse de sentir dans la nuit tombante palpiter au vent léger la légèreté du voile blanc, dans un rêve de gloire, de pitié et d’héroïsme... Douloureuse et fervente petite ambulancière, ô femme de France, mûre pour le dévouement suprême et le sacrifice total !

Le train se gare, — oh ! lent, si lent ! — à reculons comme une bête malade et précautionneuse ; silencieusement, comme las déjà de tant de misère ; un train long, long, long, qui n’en finit plus ; si long que l’on doit le sectionner en deux tronçons sur deux voies ; et dont l’arrêt, le plus amorti qu’il soit possible, propage de wagons en wagons un soubresaut pénible et gémissant, où l’on croit percevoir une recrudescence de souffrance dans les pauvres chairs torturées,

Quelques wagons de première pour les officiers (mais la plupart gisent parmi leurs hommes), quelques troisièmes pour les moins atteints, et les énormes wagons à bestiaux, les wagons à civière où déjà quelques-uns s’immobilisent dans la rigidité de la mort.

Engourdis encore dans l’habitude de leur faim et de leur douleur, « ils » restent moroses, répondant à peine aux invites des assistantes. Et puis, ils finissent par comprendre, gagnés par l’entrain communicatif de ceux qui les sollicitent avec des gestes vifs et de bons sourires tendres. Et les valides sautent à terre, courant au baquet d’eau. Ah ! l’ivresse de l’eau, enfin ! Le premier frais contact contre leur peau brûlante, leurs joues noires, leurs fronts où la sueur et le sang collent les cheveux, leurs pauvres mains gonflées sous la (crasse et le cal, durcies comme du cuir, déjà, par quelques jours de vie errante !

Ceux qui portent un bras en écharpe (ou dont la manche vide et flasque révèle le membre coupé) regardent d’un œil d’envie les autres... qui ont deux bras. Timidement, d’abord, une jeune femme s’approche : « Si vous voulez que je lave votre main valide ? » Il balbutie, intimidé aussi : « C’est bien trop sale ! Ce n’est pas la peine ! » Mais les deux petites mains se sont déjà emparées de la grosse main noire et barbotent de compagnie dans le baquet. Maintenant ils rient tous deux, et la jeune femme s’enhardit : « Allons ! que je vous