Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/680

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans l’hilarité générale on amène le petit chariot à pansement : on n’a pas trouvé mieux qu’un landau d’enfant, sans capote, déguisé sous de la peinture grise et deux croix rouges. L’équipe de service y entasse bouteilles, boîtes, bandes, coton, cuvettes et plateaux. Cela ressemble à la petite voiture d’un buffetier de gare : « Brioches... croissans... petits pains ? » On s’extasie, mais au fond de soi chacun trouve l’objet un peu ridicule, et lorsqu’il s’agit d’une bonne âme pour la pousser, toutes invoquent d’excellentes raisons pour décliner l’honneur... D’office, on désigne la plus jeune.

De même, il y a peu d’empressement autour de la marmite aux compresses. Mais on se dispute l’honneur du plateau chirurgical. L’une s’empare triomphalement du pinceau à teinture d’iode, l’autre d’une carafe d’eau bouillie. L’on s’assure des dames interprètes. (Il y aura des prisonniers.)

— Le train, mesdames !

La procession s’ébranle : l’infirmière-major, le docteur, tout de lin blanc, les manches relevées comme un sacrificateur, les bras humides et les mains hautes, afin d’éviter les contacts impurs. — « Brioches, croissans, petits pains, » la voiture où les bocaux dansent, encadrée de jolies dames aux bras nus qui se sont assurées de la belle ordonnance de leur coiffure avant d’affronter les quais. L’officiante au plateau le tient, ce cher plateau, comme s’il devait recevoir la tête de Jean-Baptiste. Suit : la marmite d’eau bouillie, balancée entre deux autres dames ; suivent : les mannes aux cuvettes ; enfin, les femmes de service avec des seaux hygiéniques.

Il y a foule sur les quais : tout le personnel de la gare : officiers, G. V. C., chapelet de braves territoriaux. Tous les majors des hôpitaux auxiliaires, l’air goguenard. Tout le comité de la Croix-Rouge : directeurs, administrateurs, secrétaires. Tout le personnel des cuisines : les dames auxiliaires avec leurs mannes à provisions établies sur des tréteaux de bois, par petits postes, le long des quais. Les messieurs affiliés... et c’est tout. Le quai regorge. Il n’y aura plus de place pour les blessés.

Le train. Le premier train « officiel, » moitié wagons de troisième, moitié wagons à bestiaux.

Blessés, tous ? oh ! si peu ! Aux bras, aux jambes, et si légèrement ! A peine sales, poussiéreux, noirs du train, rouges du hâle... et si joyeux ! « Ça marche ! On les a ! Ils filent comme