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« Madame ! Il y en a un, là, blessé aux deux bras... » Elle le découvre en marchant à quatre pattes sous les civières. Il est par terre, sur la paille. Agenouillée, elle soulève le pauvre visage pâle qu’elle appuie sur sa hanche, et doucement, soulevant sa tête, elle le fait boire d’un geste maternel et joli, tandis qu’il avance ses lèvres avec une grosse moue, comme un enfant.

Ils sont transis de froid. Celui-là, blessé aux jambes, a ses culottes fendues de bas en haut par les ciseaux pressés de l’ambulancier du front. Il est tout nu, glacé, rigide. Est-il mort ? Un autre, là, gémit, le pansement défait. Celui-là crie que « ça coule. » Un autre tend un bras tuméfié : de chaque côté du pansement trop serré un gros bourrelet de chair tendue se gonfle. Les bords de la tarlatane séchée entaillent douloureuse sent la peau luisante et rouge.

Il y a tant à faire, et elles ne sont que trois ! Alors, toute la gare les aide : soldats, employés, officiers. De l’infirmerie au train, du train aux cuisines, courses, trots, ordres, appels. Il n’y a plus d’âge, plus de sexe, plus de grades, tout le monde sert. Un commandant s’ébouillante avec un quart de grog brûlant. Deux territoriaux assistent sur la voie un pauvre éclopé que tourmentent d’affreuses coliques. On entortille les pieds nus dans tout ce que l’on peut trouver à la lingerie. Avec des épingles de sûreté l’on façonne deux bonnets de coton blanc en savates. Et pour celui qui n’avait plus de pantalon, le voilà plié dans un maillot de coton cardé, ligoté de bandes de toile. En trois quarts d’heure, tout est fini. Ils sont mieux, ils sourient.. Le train peut partir.

Les trois femmes haletantes se retrouvent à l’infirmerie, enfin close et calme. Un gros soupir dans le lit du fond, un bâillement de fauve, une face hérissée surgissant des mollesses d’un blanc oreiller : c’est M. S..., pharmacien, qui s’éveille après la bataille.

16 août. — Deuxième train. Il est annoncé deux heures à l’avance. Les petits cyclistes ont le loisir de parcourir la ville ; tout le personnel est prévenu.

L’infirmerie est toute blanche d’infirmières. Répétition générale. L’infirmière-major, la grande maîtresse, est là. Point n’est besoin de son brassard rouge pour la reconnaître : les sourcils hauts, le bonnet en diadème, la voix tranchante et le geste sec... tout tremble. Point d’initiative privée, chacune à son poste !