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d’une entorse, ou d’un bandage de tête en « côte de melon. » O triomphe du pansement ! beau pansement élégant, moulé suivant les règles de l’art, pansement de dispensaire ! Gloire des beaux pansemens exécutés avec tout le calme, tout le loisir voulu !

Les équipes luttaient et comparaient malignement entre elles la méthode de leur chef. On discutait le nombre de tours de bande qu’il fallait donner pour base à certains pansemens. bavardage des premiers jours ! Rien à faire. Rite de l’eau bouillie, rite des compresses, rites des bandes de toile et des carrés de tarlatane, pliage en deux, pliage en trois. Gestes toujours les mêmes dans la chaleur et l’odeur du formol !

Monotonie, monotonie — chaleur, formol ; formol, chaleur — entrecoupée de tasses de thé, de bavardages dans l’attente énervée d’un coup de téléphone qui ne retentit jamais :

« Allô !... de Reims... on vous signale un train de grands blessés pour 17 à 02. »


L’APPRENTISSAGE

Le premier train. — Le premier train ne fut pas signalé. Il arriva dans la nuit du lo août. Froid, pluie fine. Une demi-heure d’arrêt.

Aux cuisines on s’était lassé d’attendre vainement depuis quinze jours. Personne ne veillait. Pendant qu’une des dames se faisait forcer la porte afin de réchauffer bouillon et café, les deux autres prenaient contact.

Oh ! ce premier contact ! Nuit noire, wagons à bestiaux, lourde porte dure à ouvrir qui grince en roulant sur ses gonds. C’est très haut, on se hisse comme on peut avec les coudes et les genoux. Des territoriaux de bonne volonté suivent avec des lanternes.

Deux étages de civières, comme des hamacs de matelots ; une tête ou un pied dépasse, des mains pendent : cela sent l’étable, le renfermé, le sang chaud, odeur fade qui fait tourner le cœur. Dorment-ils ? On dirait des morts... Sur chacun, le brave homme dirige son falot ; la jeune femme se penche, et doucement interroge. « Du bouillon ? Du café ? » — « C’est cela ! » Réveillés un peu, ils tendent la main libre vers le quart brûlant où le bouillon fume ; à petites gorgées, comme rêvant encore, ils boivent jusqu’à la dernière goutte... Ils ont si froid !