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dans la nuit noire, chevaliers servans ou paternels gardiens, escortant à travers les rues, voire les faubourgs et même les routes, la respectable bonne vieille dame, la petite jeune femme fringante, bavarde et sautillante comme trois merles, ou la mélancolique forme noire, muette et rigide sous sa grande mante à capuchon.

Il y a de charmans vieux cavaliers qui s’offrent à porter le sac, le réticule ou les menus paquets. Ils s’ingénient à fleurir le temps de délicieuses banalités et jugent leur devoir accompli seulement lorsque le verrou est tiré, à leur nez, derrière leur protégée.

D’autres se prétendent ravis. Leur promenade forcée, ils la qualifient d’hygiénique, de sportive... ou de romantique, et s’extasient sur la fraîcheur de l’air, la pureté de la lune, le chant des crapauds et la sonorité des routes.

Il y en a qui marchent à grands pas, tirant à la remorque la grosse dame essoufflée qui roule comme un petit tonneau. Il est pressé de retrouver sa tasse de camomille et son lit chaud, et n’a que faire de paroles inutiles. A celui-là, justement, échoit la dame qui demeure à l’autre bout de la ville, presque aux champs. Minuit : deux kilomètres... la camomille sera froide... Brr !... Quel brouillard !... Il lève le col de son pardessus et met son mouchoir devant sa bouche. N’arrivera-t-on jamais ? Il ne sera pas couché avant deux heures du matin ! Enfin, voilà ! « Bonsoir ! — Bonsoir ! » Il salue sans s’arrêter, semant la dame plus qu’il ne la dépose au seuil de sa maison, et fait demi-tour avant qu’elle ait eu le temps de remercier.

NUITS DE GARDE. — Les premières sont vides, désespérément vaines. Les équipes de trois remplacent régulièrement les équipes de trois. Et chacune a déjà son allure et ses habitudes vite nées.

Il y a l’équipe où l’on dort, vautré de tout son long, tout bonnement, sans élégance, sur les lits qui sont venus s’adjoindre aux trois fauteuils... et tout à fait sans élégance, puisqu’un beau jour on lit sur la muraille : « Prière d’ôter ses bottines avant de s’allonger. »

Il y a l’équipe joyeuse où l’on bavarde entre deux tasses de thé, grignotant les premiers potins de l’assemblée, riant si fort que du compartiment des officiers monte un : « Tonnerre ! Pourrons-nous dormir ? »