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la voix changée, dans sa résolution. Elle sent que la partie se joue, qu’il s’agit d’un seul mot. Un peu de colère lui vient de n’être pas comprise. C’est le fond de son cœur qu’elle voudrait leur montrer. « Servir, oh ! servir ! se donner toute ! » Et des mots éloquens lui montent aux lèvres, vibrans de douleur et d’emportement.

Un courant sympathique s’établit... Elle a trouvé le chemin des âmes, elle reconnait sur les visages, tout à l’heure froids et ironiques, même douleur et même exaltation. Chacun pressent le déchirant secret de l’autre. Les mains se tendent. Le grand registre s’ouvre et la nouvelle enrôlée donne son adresse et son nom.

RÉUNION GÉNÉRALE. — Encore de la pluie, mais par averses. Une énorme tente à plusieurs compartimens, près de baraquemens de fortune dans la cour de la gare des marchandises. On croirait une installation de cirque forain.

Sous la tente, assemblée plénière : quelques femmes du peuple et quelques isolées, puis toute une société. Les plus jolies dames, les plus riches ou les mieux considérées, des commerçans, des industriels, des magistrats, des professeurs, des docteurs, des prêtres. Tous se reconnaissent, se saluent, jacassent comme dans un des salons de la ville... si fort, même, que le Bureau se voit forcé d’intervenir plusieurs fois et très énergiquement pour établir un relatif silence.

Le Bureau : une dame et trois messieurs assis sur de mauvaises chaises devant une table de bois blanc. L’assistance est debout. A quelques dames vacillantes on désigne les uniques sièges vacans : des piles de sacs de grosse toile. Par les jointures de la tente, l’averse pénètre et l’on ouvre des parapluies.

On expose le but de l’œuvre, et c’est très simple : soigner, panser, ravitailler, réconforter les blessés des trains sanitaires qui, bientôt malheureusement, ramèneront de la frontière une partie de cette belle jeunesse dont les chants et les cris, parvenant au passage, évoquent par sursauts la terrible réalité, alimentent les larmes.

Pour assurer le service, trois dames, nuit et jour, veillent à l’infirmerie, à la lingerie, aux cuisines, avec trois hommes de garde, pour les protéger et les aider. Une heure avant le passage des trains sanitaires, de petits cyclistes de bonne volonté préviennent, dans leur demeure, les membres auxiliaires. Le