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En novembre le bois commença de manquer. F. Buloz, alors, emporta les bûches destinées à chauffer son appartement, pour en bourrer le poêle de l’imprimerie. Le 28 décembre, l’ennemi bombarda le plateau d’Avron ; Paris, le 5 janvier, reçut son premier obus, et le directeur de la Revue corrigea, a dit Henri Blaze, « les épreuves du numéro jusque sous le canon des Allemands. »

Quant à Mme F. Buloz, sans nouvelles de sa fille ni de sa sœur depuis quatre mois, elle écrivait à Mme Combe le 6 janvier ; elle lui parlait des soucis dont elle était accablée, « soucis cruels. » « Sans nouvelles, et vivant au milieu des angoisses d’un siège, Charles et Edouard faisant le métier de soldat, et enfin ce terrible fléau qui nous frappe, l’ennemi partout, dévorant, dévastant, l’avenir de tous et de tout ébranlé dans ses fondemens les plus profonds ; malgré cela cependant, l’espérance ne nous abandonne pas, chacun se dit : C’est l’heure, la Providence va faire quelque chose pour Paris, tenons-nous ferme, donnons un grand exemple, soyons toujours la tête, ne nous laissons ni affaiblir, ni entamer... Oui, certes, la misère est grande, mais jamais la charité n’a été plus prévoyante, tout le monde donne sans compter, on habille, on nourrit, on visite tous les pauvres, on soigne les malades ; les cantines pour les bien portans, les ambulances pour les blessés, se rencontrent à chaque pas. Cette ville est admirable d’élan patriotique et charitable.

« Je crains que l’annonce de ce bombardement ne te trouble pour notre sûreté ; il ne faut pas t’en effrayer, les projectiles ne peuvent arriver jusqu’ici que par accident. Nos forts ne sont pas seulement ébréchés par cet pluie de fer qu’on leur envoie. Aujourd’hui on tire moins qu’hier, mais c’est un vacarme. »

Chaque matin, Mme Buloz, à l’ambulance de l’Ecole des Beaux-Arts, assistait à la visite du chirurgien, voyait les pansemens, se rendait utile, était infatigable. « L’ennemi nous croit en famine, écrit-elle, ce n’est pas vrai, nous avons de quoi vivre pour deux mois encore. Nos cartes de boucheries sont marquées jusqu’au 15 mars, » et puis elle donne ce détail : « On tue les éléphans parce qu’ils dévorent trop de fourrage, on vend leur chair 25 francs la livre. »

Quoi que Mme Buloz en ait dit, les obus tombaient de préférence sur la rive gauche, qui fut fort éprouvée. J’ai vu longtemps