Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/666

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entendent être maîtres chez eux ? Là est la vraie question.

En effet, malgré les apparences actuelles, il serait inexact de parler de tendances séparatistes chez les Chinois ; toutes les provinces entendent constituer un seul État, mais elles veulent posséder leur autonomie administrative ; la république qu’elles conçoivent est fédérative et non pas centralisée. L’effet de la dictature et de ses abus de pouvoir a été, depuis quatre ans, de préciser et de fortifier cette tendance, cet éloignement de la prédominance absolue du gouvernement central que le besoin d’unité avait fait envisager un moment dès le début de la révolution, et les hommes politiques chinois du parti constitutionnaliste en sont venus aujourd’hui à faire un système politique du provincialisme qui fut pendant tant de siècles un état de fait inconscient, produit de l’évolution historique du pays.

Il est très important, si l’on veut bien comprendre les événemens actuels, de tenir compte de ce fait.

C’est ce sentiment provincialiste des Chinois, aujourd’hui renforcé par une conception politique théorique, que les hommes d’affaires et les diplomates étrangers ont méconnu lorsqu’ils ont imaginé la création d’un pouvoir fort à Pékin qui gouvernerait à son gré toute la Chine, et servirait à la fois les intérêts étrangers et chinois en faisant entrer, par des actes d’autorité venus d’en haut, tout le pays dans les voies de la civilisation occidentale.

Une telle conception était vouée d’avance à l’insuccès. Certes, les échecs répétés des Puissances, dans leur politique en Chine, ont aussi pour cause leurs rivalités d’intérêts, leurs divergences de vues, mais le provincialisme des Chinois est le principal obstacle contre lequel sont venus se buter tous les efforts. Quelles que soient les Puissances qui voudront, le cas échéant, prendre en mains, d’une façon ouverte ou occulte, la direction de cet immense pays, soit que les groupes financiers anglo-français l’emportent, soit qu’une union russo-japonaise prévale, les uns ou les autres se trouveront en face du même obstacle dont la révolte actuelle fait apparaître toute la hauteur.


FERNAND FARJENEL.