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même, les démissions de fonctionnaires abandonnant le vais- seau portant la fortune de Yuen furent si nombreuses en dé- cembre 1915 que celui-ci dut retenir les fugitifs par la force. Le ministre de la Guerre lui-même, le général Toan Kijoei, devint suspect. On sentait venir l’orage au fur et à mesure que se précisait le plan monarchique.

Les Chinois à l’étranger se rassemblaient, ramassaient des fonds pour subventionner la révolte future ; ceux d’Amérique, plus libres de leurs mouvemens que leurs compatriotes résidant en territoire anglais et français, s’agitaient beaucoup, poussaient à la lutte et s’efforçaient d’amener les citoyens des Etats-Unis à s’intéresser à une cause dont les principes devaient leur plaire.

Un commencement de révolte éclata d’abord à Changhai le 6 décembre ; environ huit mille tireurs de pousse-pousse s’étaient mis en grève, la ville était agitée. Des conjurés essayèrent de s’emparer, avec la complicité d’officiers et de marins du bord, du vaisseau le Tchaoho ancré dans le fleuve. Ce coup de main échoua.

C’était de la région lointaine, montagneuse, d’accès difficile du Yunnan que devait partir le mouvement. Un des meneurs de l’action fut le général Tsaingo qui, en 1911, s’était emparé de la province pour le compte de la révolution [1] ; il appartenait au parti républicain modéré ; Yuen Chekai l’avait appelé à Pékin et immobilisé dans une sinécure : la direction de la Revision Cadastrale, où le jeune général rongeait son frein. En novembre, la police le surveillait et perquisitionnait chez lui ; il réussit à échapper à cette surveillance, alla au Japon, se rendit secrètement au Yunnan, où ses soldats fidèles l’acclamèrent.

Les autorités du Yunnan étaient gagnées à la conjuration. Avec la dissimulation habituelle aux Asiatiques, le gouverneur même de la province, Tang Kiyao, et les autres fonctionnaires, feignirent d’abord d’être favorables à la restauration ; puis, le moment venu, ils levèrent le masque. Tang, soutenu par Jenn Koteng, l’inspecteur provincial, commença par sommer télégraphiquement Yuen de renoncer à son projet et d’en châtier les promoteurs dans son entourage. Tsai prit le commandement des troupes ; un autre général, Li Liékiun, celui-là même qui, le premier, avait levé l’étendard de la révolte, en 1913, contre la

  1. Dans notre ouvrage, A travers la Révolution chinoise (Plon, Paris), nous donnons le récit des entrevues où il nous exposa ses idées.