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extrême avait été clairvoyant en refusant toujours d’accepter la dictature de Yuen et de son entourage.

Ainsi, petit à petit, l’unité se refaisait contre le chef de l’État, les forces qui avaient renversé le précédent gouvernement s’aggloméraient de nouveau sous l’influence des sentimens qui leur avaient donné naissance dans les dernières années de l’ancien régime. La restauration symbolique de l’Empire, la consolidation, sous un autre nom, de la dictature de Yuen, devait fatalement les rejeter dans le camp de ses adversaires avérés et irréconciliables.

C’est ce qui arriva, en effet, ainsi qu’on put le constater en décembre 1915.

Une autre raison poussait les républicains modérés, dits progressistes, à s’éloigner de Yuen Chekai, raison très puissante pour des Chinois, lettrés et commerçans ; ils s’apercevaient également que l’Empire, avec le Président actuel comme empereur, devait fatalement entraîner la militarisation de la Chine. Ce n’était un mystère pour personne que le chef du gouvernement voulait créer une grande armée qui soutiendrait sa fortune politique, maintiendrait le peuple dans l’obéissance ; pour cela, le concours des étrangers lui était assuré, les uns fourniraient, à grosses commissions, l’argent pour l’armement, les autres, les instructeurs. Plusieurs centaines d’officiers allemands se tenaient prêts à former une grande armée chinoise, et au besoin à en prendre la direction occulte. Seules, les rivalités étrangères avaient jusqu’ici empêché le projet de se réaliser.

Malgré les préjugés antimilitaristes répandus en Chine pendant des siècles, depuis plusieurs années, la constitution d’une armée puissante avait séduit bien des gens ; il leur semblait que celle-ci pourrait être un utile instrument pour se débarrasser de la domination politique des étrangers ; les élémens chinois sous l’influence de l’Allemagne, étudians militaires, élevés à Berlin, ainsi que les officiers retour du Japon, répandaient cette idée séduisante, tandis que les élémens d’extrême gauche demeuraient fidèles aux vieilles idées chinoises sur ce point et s’opposaient à la militarisation du pays par des Européens ou des Japonais.

Les républicains avancés prétendaient que l’énormité de la masse chinoise était, à elle seule, un obstacle à toute conquête