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sur tout son concours moral et sur tout l’appui possible pour le présent et pour l’avenir.

Avoir pour soi, unis dans le même dessein s les deux groupes de Puissances alors en guerre en Europe, était vraiment une bonne fortune diplomatique autorisant tous les espoirs. L’ancien mandarin étendait donc la main pour saisir cette couronne objet de son ambition, lorsque soudain un coup de théâtre se produisit.

Le 28 octobre, le gouvernement japonais faisait remettre une note au gouvernement chinois dans laquelle il lui exposait le danger pouvant résulter de la restauration de l’empire, dans les circonstances actuelles. Il était demandé au dictateur s’il se croyait assez fort pour pouvoir résister à une révolte qu’on prévoyait, ou mieux, s’il pouvait empêcher celle-ci de se produire et de compromettre, par les troubles qu’elle occasionnerait, les intérêts étrangers en Chine. Le Japon a, en effet, pendant la Grande Guerre, assumé leur défense. La note concluait en disant qu’il fallait « renvoyer sagement le projet de changer la forme du gouvernement pour éviter que des troubles n’éclatent et pour consolider la paix en Extrême-Orient. »

Les ministres de Russie et d’Angleterre se joignaient au représentant du Japon pour appuyer ses observations, et, quelques jours plus tard, on apprenait que la France elle-même, toujours si favorable à la restauration monarchique, ne restait plus à l’écart ; son représentant s’unissait lui aussi au groupe ; l’Italie en fit autant.

De puissantes considérations avaient évidemment milité aux yeux des diplomates pour qu’ils pussent abandonner ainsi soudain, ou tout au moins différer, un projet qui était, en somme, le leur, et à la réalisation duquel ils travaillaient depuis la fondation de la République.

En effet, au Japon, l’opinion s’était montée et la nouvelle en arrivait en Chine ; le ministère Okuma était accusé, au dedans et au dehors du Parlement japonais, de sacrifier les intérêts nationaux et ceux de la race jaune à la politique des Puissances. Déjà, celles-ci avaient obligé le Japon à retirer, en mai 1915, le cinquième groupe de ses réclamations au sujet des Affaires chinoises ; le ministère Okuma avait cédé et renoncé à prendre en mains Yuen Chekai ; celui-ci passait aux Européens. Est-ce que tout l’avenir de l’indépendance de l’Asie orientale, de sa libération politique, n’était pas par là compromis ?