Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/640

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

façon à donner à son tour un revenu à ceux qui ont eu l’énergie d’épargner. S’ils ne l’avaient pas fait, aucune maison ne se serait construite, et nous coucherions à la belle étoile, comme les peuplades pastorales des premiers âges. Cela vaudrait peut-être mieux pour notre santé que d’être enfermés dans des murailles de pierre, mais nous ne pensons pas que cela serait du goût de nos soldats, même au retour de leur rude vie des tranchées. Si l’idée se généralise que le loyer d’un appartement n’est pas une créance aussi certaine pour le propriétaire que la fourniture du pain et de la viande l’est pour le boulanger et le boucher, il se trouvera de moins en moins des gens disposés à construire des maisons, à courir les risques inhérens à ce genre de placement et à mettre à la disposition de leurs concitoyens l’abri dont ils ont besoin.

La Chambre a entendu à ce sujet, le 3 mars 1916, un discours excellent de M. Louis Dubois, qui lui a rappelé la situation de nombreux petits propriétaires ne touchant pas un centime de leurs loyers, alors que leurs locataires sont souvent dans une situation bien meilleure qu’eux. Beaucoup d’habitans de la banlieue parisienne arrivés, à force de travail et de privations, à économiser quelques sous, les ont consacrés à l’achat d’un terrain, sur lequel ils ont construit une maison, souvent avec des capitaux d’emprunt, dont ils paient les intérêts. L’argent des propriétaires qui ont édifié des habitations est aussi intéressant que celui qui sert à payer les salaires des ouvriers : il a souvent, à l’origine, été prélevé volontairement par le salarié lui-même sur ce qu’il gagnait, et ce n’est que grâce à une longue suite d’efforts persévérans que ce capital immobilier a pu être constitué.

Les étapes qu’ont marquées les mesures prises par le gouvernement et les projets discutés par le Parlement sont instructives à rappeler. Au début, il ne s’agit que de moratoire ; on laisse tout en suspens ; on donne aux locataires des délais pour payer leurs termes ; mais personne ne songe à porter atteinte au principe même des contrats. La guerre se prolonge ; on se décide à attaquer le fond de la question. Le gouvernement ne veut d’abord en envisager qu’un seul côté : celui des résiliations de baux à loyer ; bientôt il est amené à considérer aussi les réductions. Il se met d’accord avec la Commission de la Chambre : une juridiction est instituée qui aura pouvoir, dans des