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pour corriger les erreurs d’un texte qui n’a obtenu les suffrages au Palais-Bourbon que parce que ses rédacteurs savaient qu’une autre assemblée le modifierait.

Nous comprenons l’état d’esprit des représentans du peuple, qui reçoivent directement le contre-coup des émotions de leurs électeurs. En temps de guerre, ces émotions sont explicables et, dans certains cas, infiniment respectables. Il est évident que chaque Français est plein d’une reconnaissance sans bornes envers les soldats qui luttent héroïquement et qui, chaque jour, sauvent la patrie. Aucun sacrifice consenti par ceux qui sont restés à l’arrière n’égalera ceux du front. Mais il ne faut pas que le sentiment le plus généreux vienne apporter un trouble inutile dans le domaine économique.

Or, à côté des nombreuses imperfections que contient le projet que nous venons d’analyser, il présente deux vices capitaux, qui apparaissent d’autant plus nettement qu’ils résultent de dispositions introduites postérieurement au dépôt des textes primitifs. Le premier consiste dans la présomption d’insolvabilité établie en faveur des petits locataires, parmi lesquels beaucoup sont en mesure de payer. Pourquoi ne pas procéder, en cette matière, comme on l’a fait pour les allocations militaires ? Avant de les accorder, on exige des demandeurs la preuve qu’ils n’ont pas de ressources suffisantes pour vivre. La simple logique exigerait que, pour dispenser certaines catégories de citoyens de payer leur loyer, on leur demandât de démontrer qu’ils en sont incapables. Dans son premier rapport, M. Ignace insistait sur ce point de vue.

La seconde critique majeure qu’appelle le projet est l’abandon presque total de l’idée que l’État, en procédant à un acte qu’on ne saurait mieux qualifier qu’en l’appelant une réquisition, ne doit pas le prix, au moins partiel, de l’objet réquisitionné. Il y a un intérêt supérieur à ce que la notion de droit ne soit pas obscurcie dans l’esprit du peuple, et à ce qu’il ne s’imagine pas qu’il est au pouvoir de l’État de le délier de ses engagemens en mettant à la charge exclusive de l’une des deux parties tout le dommage résultant de cette rupture. L’organisation des sociétés humaines repose sur cette idée que rien ne s’obtient sans effort et que chacun de nous doit travailler pour lui et les siens. Le produit de ce travail, qui excède les besoins quotidiens, forme ce qu’on appelle le capital, et s’emploie de