Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi ce sont les historiens reçus en France par ce triste Empereur, introduits par lui dans nos archives, celles des Affaires étrangères notamment (à l’exclusion des écrivains français) comme Sybel et Mommsen [1], qui sont à la tête de la croisade contre la France ! Me dira-t-on ce que nous avons fait à ces charmans hôtes de ces dernières années [2] ? »

Il est de fait que la colère de F. Buloz contre Mommsen s’expliquait. Le 10 août, par l’organe de la Perseveranza, puis le 20, par celui d’Il Secolo, Mommsen, dans plusieurs lettres haineuses, cherchait à éloigner de nous les sympathies, et peut-être le secours de l’Italie.

« Ce n’est pas nous, disait-il, qui avons introduit chez un peuple d’une ancienne et charmante culture cette littérature aussi sale que les eaux de la Seine à Paris, qui gâte les cœurs de la jeunesse et corrompt les classes aisées de la nation. Ce ne sont pas les Allemands qui pourront jamais, ni ne voudront s’emparer de ce qui vous appartient justement, tandis que le berceau de vos rois est devenu un département français... si, comme le malheureux délivré des mains d’un voleur par un chevalier d’industrie, vous avez dû payer votre rançon à ceux-là mêmes qui s’introduisaient chez vous en se disant vos libérateurs, si votre liberté est incomplète et précaire, n’est-ce pas la main de la France que vous sentez sur vous ? Une seconde journée de Sadowa sur les bords du Rhin vous donnera la liberté complète et durable... » Il nous accusait aussi d’avoir préparé cette guerre pendant trente ans, etc.

Le 22 novembre, F. Buloz revint à la charge auprès d’Ernest Renan à propos de la circulaire de Jules Favre. Cette circulaire répondait à celle du comte de Bismarck parue quelques jours auparavant. La circulaire de Bismarck expliquait la rupture des pourparlers du chancelier avec M. Thiers, en accusant les membres de notre gouvernement d’avoir rendu l’armistice impossible par leurs exigences, d’ailleurs, « de n’avoir pas voulu sérieusement laisser l’opinion du peuple

  1. Il est intéressant de rapprocher cette lettre de l’article de Fustel de Coulanges paru dans la Revue du 1er septembre 1870, sur le livre de J. Zeller : Origines de l’Allemagne et de l’Empire germanique. Il semble que le directeur l’ait véritablement inspiré. Quoi qu’il en soit, il est à remarquer que Fustel de Coulanges fut à peu près le seul, parmi les intellectuels de son temps, à juger avec clairvoyance la duplicité et les ambitions allemandes.
  2. Inédites.