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remportés par plusieurs de leurs traducteurs, qu’ils réussiraient, sans en rien omettre, à transposer le Don Quichotte en allemand. Des discussions très aigres eurent lieu entre interprètes du roman, dont il n’y a maintenant qu’un fort mince profit à tirer : la seule traduction qui, hors d’Allemagne, et malgré ses contresens, se lise encore avec un certain plaisir est celle de Tieck, bon écrivain en sa langue et désigné par la nature de son talent à tenter une entreprise où il réussit dans la mesure du possible.

Aucun de nos candidats au doctorat ès lettres n’a encore écrit six cents pages à propos de Cervantes en France, et il n’est pas à souhaiter qu’une thèse de cette ampleur sur ce sujet soit jamais soutenue dans nos Facultés. Il y aurait, toutefois, quelque intérêt à montrer comment a évolué le culte du grand écrivain chez nous, depuis César Oudin, son premier interprète, jusqu’à nos plus récens traducteurs et à nos essayistes les plus renommés qui ont su rafraîchir l’impérissable duo de Don Quichotte et de Sancho, en évitant d’y mêler des notes fausses et d’y chercher des abstractions ou des symboles. On ne rappellera ici que la seconde étude de Mérimée [1], son dernier ouvrage, qu’il eut à peine le temps de terminer avant de mourir et qui sert de préface à la traduction de Lucien Biart. Cette étude essentiellement biographique n’est plus au point depuis les nombreuses découvertes documentaires de ces cinquante dernières années, mais on y trouve, avec la connaissance précise de l’Espagne, qui a manqué à tant d’autres, les vues les plus justes sur le génie de Cervantes, qu’était mieux à même d’apprécier que personne un si grand prosateur, un prosateur de sa famille. Dans un genre différent, l’essai d’Emile Montégut, écrit à l’occasion du Don Quichotte illustré par Gustave Doré, est un voyage d’une fantaisie charmante à travers le roman, semé de réflexions profondes et fines, qui font regretter une fois de plus que ce critique d’une si belle indépendance d’esprit et si instruit des choses de l’étranger n’occupe pas dans notre histoire littéraire la place à laquelle il a droit.

  1. La première, qui remonte à 1826, a été annulée par la seconde.