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ce mot d’hidalgo, — proprement : fils de quelque chose, — dont il se parait néanmoins : « Adieu, s’écrie-t-il quelque part, adieu, faim pénétrante de l’hidalgo, pour n’y point succomber, j’aime mieux sortir de mon pays et de moi-même. »

L’hidalguisme, plaie des plus malignes de l’Espagne de la grande époque, contribua cependant en une certaine manière à sa splendeur. L’extraordinaire dépense d’énergie physique et morale, que réclamèrent les grandes entreprises réalisées par la monarchie des Rois catholiques, de Charles-Quint et des premiers Philippe, incomba surtout à cette petite noblesse, à ces hidalgos pauvres qui ne pouvaient trouver que dans la carrière des armes la satisfaction de leur orgueil de caste et de leurs besoins. Ils suivirent Gonsalve de Cordoue en Italie et Fernand Cortés à Mexico, ils chargèrent avec Charles-Quint à Mühlberg, ils combattirent avec Don Juan d’Autriche à Lépante, ils cheminèrent sur les dunes de Hollande avec Albe, Requesens et Farnèse. Cervantes, qui jusqu’à ses derniers momens et longtemps après avoir déposé la pique se réclama de sa qualité de soldat, rappelant à ses envieux et à ses calomniateurs l’honorable blessure qu’il reçut au cours de la bataille que les Espagnols appellent par excellence la Navale, Cervantes se rendait compte de la force de résistance que ce noyau de soldats d’élite, recrutés parmi les nobles pauvres, procurait aux armées catholiques ; mais il apercevait aussi les graves dangers de l’accroissement indéfini d’une classe moyenne décidée à vivre noblement, c’est-à-dire sans participer aux charges du commun et en traînant une existence oisive et inutile, attendu que les hidalgos qui ne s’enrôlaient pas sous les étendards du Roi, croupissaient dans des emplois de basse domesticité, ou vivaient chichement, enfermés en leur manoir, du misérable produit de quelques lopins de terre.

Cervantes a donc peint l’hidalgo castillan de son temps tel qu’il le voyait autour de lui et tel qu’il le voyait en lui-même, puisque Don Quichotte en définitive est la chair de sa chair et le sang de son sang. Il a montré ses travers et ses ridicules, mais en grand artiste il s’est arrangé à ne jamais le rendre méprisable. Le mot du vieux Samuel Johnson appliqué au bon chevalier reste toujours vrai : commonly ridiculoits, but never contemptible. Don Quichotte est un gentilhomme campagnard bien appris, de tenue correcte, sans mesquinerie choquante et,