Miguel de Cervantes Saavedra, de Don Martin Fernandez de Navarrete, publiée en 1819, livre excellent, aussi remarquable par l’étendue des recherches que par un esprit critique toujours en éveil et un jugement très sain. A ce livre, qui n’a presque rien perdu de sa valeur, se rattachent tous les travaux biographiques publiés depuis ; c’est toujours à Navarrete qu’il faut recourir pour s’orienter et avant de s’engager dans de nouvelles investigations. Le premier âge des études cervantesques en Espagne se termine par le commentaire du Don Quichotte de Don Diego Clemencin, qui se substitua avantageusement aux commentaires antérieurs de Bowle et de Pellicer. Le nouvel interprète entoura, et parfois jusqu’à l’étouffer un peu, le texte du roman d’une glose continue où il condensa le fruit d’immenses lectures. Histoire, usages, allusions aux choses du jour, emprunts aux livres de chevaleries, tout ce qui reste lettre morte pour le commun des lecteurs est ici soigneusement relevé et en bien des cas élucidé avec bonheur. La partie faible ce sont les notes grammaticales : Clemencin, plus historien que grammairien, ne connaissait pas assez la langue du XVIe siècle pour se permettre d’en remontrer à Cervantes.
Après le commentaire de Clemencin, l’Espagne érudite se reposa un peu et crut avoir suffisamment rattrapé l’avance prise sur elle par les étrangers. Aussi bien, les années 1830 à 1880 environ ne furent pas chez nos voisins très favorables au travail littéraire. L’édifice, d’ailleurs assez vermoulu, des vieilles universités espagnoles s’était écroulé pendant la guerre de l’Indépendance et n’avait été remplacé que par des constructions hâtivement échafaudées ; des centres doctes, créés par diverses congrégations religieuses au XVIIIe siècle, disparurent également, et les guerres civiles qui ensanglantèrent le pays pendant si longtemps détournèrent la jeunesse des études d’érudition qui exigent le calme et la méthode. En outre, l’effervescence romantique exerça une action néfaste sur les milieux intellectuels en surexcitant beaucoup d’esprits déjà trop enclins de leur nature à l’improvisation et à la recherche de succès bruyans et faciles. Ce fut alors qu’on vit naître le cervantisme, fâcheuse manie de dilettantes qui prétendirent accaparer Cervantes, lui vouèrent un culte exclusif et excessif, frisant le ridicule, et gâchèrent beaucoup de papier en élucubrations fantasques, dépourvues de tout intérêt. Un tel dévergondage littéraire eut