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et d’y joindre une vie de l’auteur qu’il demanda à un érudit espagnol très qualifié, Don Gregorio Mayans y Siscar. Quoique sans doute un peu ému de cette prétention anglaise d’exhumer un auteur espagnol trop oublié, Mayans s’acquitta fort convenablement de sa besogne ; il composa une biographie de Cervantes, surtout d’après ses œuvres, très méritoire et que personne alors n’eût mieux exécutée que lui. Grâce à cette belle édition de lord Carteret, les Anglais purent s’octroyer ce plaisir incomparable, dira Byron plus tard, de lire commodément le Don Quichotte dans le texte :


To read Don Quixote in the original,
A pleasure before which all others vanish.


Lire c’était déjà bien ; comprendre vaut encore mieux. Or, le Don Quichotte offrait aux Anglais comme à tous les étrangers bon nombre de difficultés de fond et de forme, sur lesquelles la plupart des traducteurs sautent d’habitude à pieds joints, mais que les fervens anglais de Cervantes avaient à cœur d’élucider. L’un d’eux, le Révérend John Bowle, se mit à l’œuvre avec un zèle admirable et aboutit en 1781 à gratifier ses compatriotes studieux d’un commentaire très nourri du Don Quichotte, premier essai d’interprétation du célèbre roman, aujourd’hui vieilli, mais encore utilisable, surtout pour ce qui concerne les chevaleries, auxquelles Bowle prit la peine de s’initier. Entre temps, le romancier Smollett, auteur d’une nouvelle traduction du Don Quichotte, eut le premier le mérite d’identifier avec le nôtre le Cervantes dont il est beaucoup parlé dans la Topographie et histoire d’Alger du moine bénédictin Diego de Haedo, ouvrage inappréciable pour la connaissance des bagnes, ce qui lui permit d’asseoir sur un fondement solide l’histoire de la captivité de l’écrivain et de déterminer enfin son vrai lieu de naissance.

Aussitôt que les Espagnols, selon l’expression de Mérimée, se furent aperçus que Cervantes était le meilleur de leurs écrivains parce que toute l’Europe l’avait proclamé tel, ils se décidèrent à entrer dans la voie. ouverte par les Anglais et à traiter le Don Quichotte avec les honneurs dus à un ouvrage classique : de là des éditions annotées comme celle de Pellicer, dont les curiosités érudites et certaines conjectures ou corrections ingénieuses piquent encore l’attention ; de là surtout la Vie de