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d’espoir dans les efforts tentés pour continuer la lutte après le 4 septembre. »

François Buloz, au contraire, étant homme d’action, s’irritait de voir les esprits supérieurs renoncer à toute espérance, — il voulait que tout le monde fût debout et ces derniers en tête. N’ayant jamais cru foncièrement à l’idéalisme de l’esprit allemand, ni au désintéressement de ceux qui représentaient l’élite de l’intellectualité chez nos ennemis, il n’eut pas comme Renan de désillusion amère devant la révélation de cette barbarie, de ces mensonges, de cette outrecuidance, mais une violente indignation, et il reprocha souvent aux philosophes et aux représentans de la science française d’avoir placé trop haut certaines grandes figures prussiennes, Mommsen entre autres, qui se montrait, à l’heure de nos revers, et après avoir été si bien accueilli chez nous, le plus rude et le plus implacable de nos adversaires.

Ces quelques lignes m’ont paru nécessaires pour expliquer les lettres de F. Buloz qui vont suivre, lettres auxquelles, malheureusement, je ne puis joindre les réponses de Renan : je ne les ai pas retrouvées. D’ailleurs, je ne sais si Renan répondait par lettre aux argumens de F. Buloz. Les discussions des deux hommes avaient lieu le soir, et F. Buloz, avec sa nature belliqueuse, lorsque Renan l’avait quitté, le poursuivait encore d’un argument plus fort ou d’une preuve plus éclatante. Je pense qu’Ernest Renan, qui écrivait peu, se retranchait dans sa dialectique séduisante et subtile.

A la vérité, il nous est bien difficile de juger, avec notre esprit actuel, les intellectuels de 70.

La génération née après 70, sans avoir vu les désastres, a souffert des désastres, a été élevée dans la haine de l’Allemagne, et l’horreur de ses crimes. Celle qui est venue dix-huit ou vingt ans après, issue de la première, a épousé les mêmes querelles et adopté les mêmes tendances. La France ensuite, s’étant ressaisie et relevée, aux idées cette génération a joint le désir de l’action : nos enfans ont eu tout petits la passion de la Revanche, ce furent de petits nationalistes qui écrivirent « Vive Déroulède ! » sur les murs du lycée, dès qu’ils surent écrire, et qui fleurirent les statues de Jeanne d’Arc canonisée. Ce sont aujourd’hui, au rebours des générations d’idéologues qui les avaient précédés, de jeunes hommes d’action. Il est clair