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épuisés. C’est ce qui s’est passé par exemple en Pologne, en décembre 1914, quand deux corps d’armée allemands, qui avaient forcé les lignes russes à l’Est de Lodz, furent enveloppés par les réserves russes et faillirent être complètement anéantis.

Sur des fronts aussi formidablement fortifiés, la rupture ne peut être valable que si elle se produit à la fois sur plusieurs secteurs, ou si elle renverse d’un seul coup 100 à 150 kilomètres de tranchées. L’effort ne doit pas être localisé, mais généralisé. C’est-à-dire qu’on ne peut comprendre une tentative de forcement que comme une bataille engagée sur tout le front, affectant dès le début une violence égale partout, maîtrisant l’ennemi, l’empêchant de faire les navettes de ses réserves, jusqu’au moment où, sous des pressions progressives, de larges pans de la muraille s’effondreront, laissant aux armées de manœuvre, prêtes à s’élancer, les possibilités de prendre le large au delà des barrières renversées et de chercher alors la guerre de mouvement qui achèvera la dislocation des armées en retraite. La bataille reprendra alors le caractère stratégique et tactique d’autrefois.

Auparavant, on le voit, cette bataille doit se plier aux conditions nouvelles de la guerre de tranchées. Elle doit être généralisée et frapper uniformément le front entier, mais elle n’est tout d’abord qu’une attaque frontale, sans manœuvre possible avant l’éclatement des lignes fortifiées. Il n’y a qu’à considérer les fronts actuels pour se rendre compte qu’ils ne peuvent être ni tournés, ni débordés suivant les principes de guerre enseignés et pratiqués jusqu’ici. En effet ils n’ont pas d’ailes. Ce ne sont pas seulement leurs vastes dimensions et leur organisation défensive qui en rendent l’attaque si difficile, c’est l’impossibilité de les manœuvrer. Les batailles fameuses de Cha-ho et de Moukden, dans la guerre russo-japonaise, nous avaient laissé un exemple des batailles modernisées sur des positions fortifiées, se prolongeant pendant plusieurs journées. Mais leurs ailes n’étaient pas appuyées à des obstacles infranchissables : elles ont été tournées. C’est ainsi qu’à Moukden l’armée de Nogui, après la prise de Port-Arthur, procéda à l’enveloppement de l’aile droite russe, attira sur elle les réserves qui s’étaient portées d’abord à la gauche, et permit au centre japonais de forcer le centre russe. Or le front occidental se termine d’un côté sur la Manche et de l’autre sur le Rhin et la Suisse. Il ne pourrait être tourné que par un débarquement des Alliés