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qu’après qu’elles auraient été aplanies, nivelées, broyées, comblées, et que les défenseurs en auraient été exterminés ou expulsés par d’effroyables et longs bombardemens. Et après vingt-deux mois de cette guerre sans précédent, le front occidental, de la Belgique à l’Alsace, est resté à peu près immuable dans sa forme générale, sous cette réserve cependant, que nos héroïques soldats ont occupé peu à peu, au prix de durs sacrifices, la première bordure des lignes allemandes. Mais toutes les grandes attaques qui ont été tentées pour le briser et le rompre, pour faire ce qu’on appelle des trouées et des percées, n’ont pu arriver qu’à gagner quelques centaines de mètres, quelques kilomètres, âprement disputés. Elles ont presque toujours brillamment débuté après la préparation des bombardemens, puis elles se sont butées contre d’autres lignes que l’artillerie n’avait pas pu atteindre. Il en a été ainsi pour nous et nos alliés à Ypres, en Artois, en Champagne, en Alsace, et pour les Allemands sur l’Yser, en dépit des gaz asphyxians, et enfin à Verdun, où a échoué l’attaque la plus formidable, la mieux préparée qui ait été faite sur le front occidental.

On pourrait donc en conclure que les fronts ainsi organisés sont inviolables, que leur forcement exige des sacrifices d’hommes démesurés et révoltans, et qu’alors il faut attendre la fin de la lutte, soit de l’action sur d’autres théâtres d’opérations plus favorables, soit du lent épuisement d’un adversaire bloqué et affamé ! Il faut se garder d’une telle interprétation d’actes de guerre qui n’ont en rien réalisé les conditions indispensables à l’offensive générale, seule capable de rompre les fronts et les tranchées qui les protègent. C’est à tort qu’on s’est imaginé qu’il suffirait d’y pratiquer des brèches plus ou moins larges, trouées ou percées, peu importe le mot, pour ouvrir le passage aux masses tenues en réserve.

Outre que la brèche doit se continuer en profondeur contre les obstacles nouveaux qui ralentissent et usent l’attaque, et qu’on ne peut ainsi déployer en largeur au delà des lignes fortifiées, aussi rapidement qu’il conviendrait, les troupes victorieuses au premier assaut, afin de gagner l’espace nécessaire aux opérations décisives, il arrive fatalement que l’adversaire, un moment ébranlé, a le temps de se ressaisir, d’amener des réserves de l’arrière ou des secteurs voisins, et peut, par enveloppement et rabattement, mettre en danger les assaillans