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pas certes la paix du vaincu, mais la paix de celui qui n’a pu être victorieux et qui, conscient encore de sa force, propose la trêve et l’accommodement à l’adversaire qu’il croit assez affaibli lui-même pour céder par lassitude et épuisement. C’est le moment où à la volonté de vaincre, facteur essentiel de l’offensive et de la victoire, succède la volonté, puis le désir de ne pas être vaincu, prélude de la défensive et de la défaite.

C’est ce que comprennent les Alliés au fur et à mesure qu’ils sentent leurs forces associées croître et devenir supérieures à celles de l’Allemagne. Et ils doivent n’en être que plus implacables dans leur volonté de vaincre, mais aussi plus prudens dans les décisions capitales qui lanceront leurs armées à la suprême bataille. Jamais le proverbe familier : « Avoir tous les atouts dans son jeu » n’aura eu plus solennelle application. Les Alliés tiennent la paix de l’Europe et du monde dans leurs mains, et comme on l’a dit maintes fois, le temps travaille désormais pour eux.

Les Neutres le comprennent aussi aujourd’hui. Le respect ou la terreur que leur inspirait l’Allemagne, et même les sentimens et les relations d’amitié qui illusionnaient certains chefs d’Etat et hommes politiques sur les véritables intentions de l’Empereur et de ses conseillers et sur la mentalité du peuple allemand, les empêchèrent de faire l’acte de protestation unanime, le jour où les armées allemandes pénétrèrent sur le territoire de la Belgique. Protestation d’ordre platonique sans doute, mais qui désolidarisait leur conscience du crime commis contre un petit peuple confiant dans la foi jurée ! Il est probable qu’ils se seraient inclinés devant le fait accompli de la victoire de l’Allemagne et qu’ils auraient accepté de gré ou de force la vassalité plus ou moins déguisée qui en aurait été la conséquence. L’échec initial du plan pangermanique les a sauvés, eux aussi, de l’absorption et de la honte. Il leur a fallu cependant la longue épreuve de près de deux ans de guerre pour voir clair dans ce conflit qui mettait aux prises deux civilisations, deux conceptions du droit et de la force. Le président Wilson, après de longs atermoiemens, a enfin donné la note qui doit guider désormais les politiques neutres. En acceptant de se conformer pour la guerre sous-marine aux conventions internationales, l’Allemagne a implicitement avoué, non seulement la défaite morale qu’elle a subie à Verdun, mais aussi l’impuissance où