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d’Auvours, était devenue pour ainsi dire une marque française, grâce à la souplesse de nos hardis pilotes et à la science pratique de nos constructeurs, elle était cependant restée plus sportive que militaire. Beaucoup d’officiers et de sous-officiers. impatiens d’aventures et lassés de la vie de garnison, s’étaient jetés dans cette passionnante lutte avec l’air, mais l’entente ne s’était pas faite sur l’utilisation de l’aéronautique, de la cinquième arme, comme on l’appelait, en vue de la guerre. Comme pour l’artillerie lourde, on tâtonnait, on hésitait, on disputait, et nous entrâmes en campagne avant qu’une méthode de guerre aérienne eût été adoptée. Nos appareils, de modèles assez variés, monoplans et biplans, assez solides, mais d’une vitesse modérée, servirent surtout d’abord à l’exploration et aux reconnaissances. Au contraire, les Allemands, nous empruntant d’ailleurs comme toujours nos brevets, ne s’étaient pas contentés de perfectionner les systèmes, ils avaient réglé le jeu de leurs avions comme une arme liée aux autres, en stratégie et en tactique. En particulier, ils se servirent des avions pour repérer le tir de leur artillerie. Et ceux qui furent témoins des premières batailles se rappellent la rapidité avec laquelle les obus arrivaient sur les emplacemens vulnérables après que le vol tournoyant des avions les avait désignés aux observateurs des batteries. Mais, en août 1914, l’aviation militaire n’était pas assez avancée pour qu’on pût faire à la guerre aérienne la part que certains romanciers des temps futurs lui avaient assignée.

Les Allemands eux-mêmes, qui avaient prévu et préparé tout le modernisme scientifique de la guerre brutale et destructive, ne pouvaient attendre que la navigation aérienne eût fait les progrès qui devaient certainement, dans un avenir assez éloigné, la rendre très redoutable et en faire même l’instrument décisif de la bataille. Il en a été de même d’ailleurs des sous-marins. La marine allemande s’en était suffisamment précautionnée, mais le type de croiseur submersible à très grand rayon, capable de tenir pendant plusieurs semaines la haute mer et de semer les torpilles et les mines sur un vaste champ de naufrage, était encore dans les cartons des ingénieurs. Il est probable que si l’amiral von Tirpitz ne s’était pas fait illusion sur l’attitude de l’Angleterre et sur les possibilités du blocus de l’Allemagne, il aurait conseillé au Kaiser de retarder de quelques mois le geste du glaive, et que la guerre sous-marine