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à découvert, sur les effets meurtriers des armes de toute nature, et sur les leçons que nous avaient données pourtant les guerres récentes au point de vue de l’emploi de la fortification du champ de bataille et de la nécessité des cheminemens lents, mesurés, progressifs, à travers les couverts naturels et artificiels.

Les premiers revers eurent tôt fait de nous ouvrir les yeux. Notre tactique s’adapta rapidement à la dure expérience des faits. Et il se passa ceci, que l’artillerie lourde allemande, si efficace au début contre notre offensive qu’elle contribua à briser encore plus que le choc de ses masses de fantassins, ne put suivre et se réapprovisionner aussi rapidement que le comportait la marche accélérée des armées allemandes. A mesure que notre habile reploiement stratégique ramenait nos armées sur leurs renforts et sur leurs ressources, les lignes de communications allemandes s’allongeaient et se distendaient outre mesure ; la rupture des ponts de la Meuse, de l’Aisne, de l’Oise, ralentissait le passage des trains de combat, et le retour offensif de la Marne surprit certainement les Allemands en pleine crise de munitions, particulièrement leur aile droite, épuisée par sa colossale conversion.

Notre 75 reprit le dessus, qu’il n’a plus perdu, et seconda magnifiquement l’élan de nos soldats dans les journées inoubliables du 5 au 13 septembre 1914. Et s’ils ne purent dépasser l’Aisne et reconduire, la baïonnette haute, les envahisseurs jusqu’aux Ardennes, c’est que ceux-ci retrouvèrent à leur tour leur artillerie lourde et leurs munitions, et qu’il nous fut impossible, faute d’artillerie lourde et de munitions, de forcer les positions déjà retranchées du Soissonnais et de la Champagne.

Mais la victoire de la Marne avait produit ce double effet d’arrêter un ennemi triomphant et de nous éclairer sur les insuffisances de notre matériel. La guerre va se transformer en guerre de tranchées. Le sublime effort que nous et nos alliés belges et anglais fournissons encore jusqu’au 13 novembre 1914, de l’Aisne a l’Yser par Arras et par les Flandres, et qui est encore plus digne d’admiration peut-être que le redressement de la Marne, fixe définitivement l’invasion sur ce front immuable dont les deux adversaires poursuivent depuis vingt mois sans relâche la rupture. Alors la France improvise dans les conditions les plus difficiles, séparée qu’elle est de ses plus importantes