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disposaient fatalement de moins de soldats mobilisés et prêts à entrer en campagne que les Empires du Centre, avec leurs 120 millions d’habitans.

Mais l’échec du plan initial allemand et la transformation de la guerre en guerre de tranchées sur le front occidental a renversé les proportions. Les Alliés ont gagné le temps nécessaire pour réparer les fautes et les erreurs et faire l’effort magnifique, inouï, qui a mis la nation tout entière à l’usine de guerre comme au front de bataille.

Malgré ses pertes cruelles, la France oppose à la masse allemande, qui pèse encore sur elle, une barrière infranchissable. Nos admirables soldats, réduits jusqu’ici à une défensive presque passive, frémissent d’impatience dans l’attente de l’irrésistible furia qui expulsera l’envahisseur. La Russie si éprouvée, mais dont le peuple et l’armée restent étroitement unis pour la lutte contre l’Allemand spoliateur et corrupteur de consciences, a fourni une nouvelle et puissante armée avec ses innombrables réserves ; elle nous envoie, pour preuve de sa fécondité et de sa solidarité indéfectible, de superbes troupes qui vont combattre à côté des nôtres. Et l’Angleterre, s’arrachant lentement à ses vieilles institutions, consciente à la fois du danger et de sa force qu’elle ne soupçonnait pas, après avoir transformé, avec deux millions de volontaires, la « misérable petite armée, » dont parlait avec dédain le Kaiser » en une nombreuse et solide armée, vient d’accepter le service obligatoire qui mobilise 5 millions d’hommes. Elle affirme ainsi, à côté de ses alliées, sa volonté implacable d’abattre à nouveau « l’ennemi du genre humain [1]. »

Le compte est facile à faire maintenant. Les millions d’hommes s’ajoutent aux millions ; Français, Russes, Anglais, Italiens, sans oublier les Belges, les Serbes, les Monténégrins et les Portugais, peuvent réunir en Europe 20 millions de combattans résolus contre 10 millions à peine d’Impériaux. Et c’est à regret que nous ne comptons pas encore les Japonais, alliés qui ne sont pas inactifs, loin de là, mais dont il serait à

  1. Nous ne comparons pas le Kaiser à Napoléon. A travers l’épopée sanglante de la Révolution et de l’Empire, Napoléon reste éblouissant, sa gloire est pure et son œuvre fondamentale a duré. Mais on comprend que l’Europe coalisée de 1814 ait voulu en finir avec des guerres épuisantes, et qu’elle ait âprement lutté contre celui qu’elle appelait l’ennemi du genre humain : aujourd’hui, c’est contre le fléau de l’humanité, le nouvel Attila, que l’Europe et le monde sont alliés.