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inquiétudes, au manque de nouvelles, et ce manque de nouvelles fut, pendant le siège, un de ses plus cruels tourmens, — elles arrivaient peu et mal, on en était réduit aux vagues conjectures ; même celles concernant les opérations qui se faisaient autour de Paris étaient inexactes, souvent démenties, et... que devenait l’armée de la Loire ? Que devenait la France ? « On ne peut évidemment douter qu’elle ne soit avec Paris, d’âme et de résolution, écrivait Mazade... Qu’a-t-elle pu faire depuis un mois ? Dans quelle mesure a-t-elle organisé ses forces ? » — C’était la nuit.

La crainte de ne pouvoir « durer, » pour la Revue, harcelait aussi F. Buloz ; il redoutait les obstacles matériels, ceux contre lesquels on ne peut pas lutter : le manque de papier, par exemple, ceci était sa hantise. Le directeur, alors, se voyait forcé de limiter le nombre de pages des numéros, de refuser les longs articles.

« Ce n’est pas le moment de perdre courage, quand l’espoir commence à renaître, lui écrivait Louis Vitet le 8 octobre, en le quittant. Dites franchement votre embarras à vos abonnés. C’est une des nécessités du Siège, un cas de force majeure s’il en fut. Au lieu de onze feuilles, n’en donnez que huit, ou même six. Mais paraissez, et annoncez que vous continuerez à paraître. Je vous promets de me mettre à l’ouvrage... » Je ferai tous mes efforts pour vous venir en aide ; mais, encore une fois, ne jetez pas le manche après la cognée, et soyez persuadé que le public vous saura gré des efforts que vous aurez faits [1]. »

Je ne sais si F. Buloz eut jamais l’idée de « jeter le manche après la cognée, » comme le craint ici Louis Vitet, peut-être en avait-il menacé ses amis ? Peut-être le directeur, ce soir-là, avait-il eu à se plaindre de quelque défection, ou était-il agité par des craintes nouvelles ? Dans ces occasions, il n’épargnait personne, et ses boutades étaient vives... Plus simplement, je pense qu’il avait dû peindre la situation de la Revue, — difficile en vérité, — sous un jour plus sombre, résumer ses maux, et cela le soulageait.

Sous l’Empire, alors que la Revue, à deux reprises différentes, reçut les avertissemens d’usage, François Buloz, qu’à ces momens-là

  1. Inédite.