Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/576

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’armée de choc, avec l’armée active et ses réserves immédiates, puis la masse des réservistes de vingt-sept à quarante ans sert de renfort aux premières lignes éprouvées ; enfin, les classes anciennes constituent une sorte de levée en masse, dont la mission semblait être plutôt de défendre le territoire national ou d’occuper et garder les territoires ennemis conquis, en arrière du front de bataille. Tous ces élémens, de qualité différente, finissent à la longue par se confondre dans la tragique mêlée, mais il arrive un moment, quand la lutte se prolonge et que les sacrifices s’aggravent, où les plus jeunes, les premiers et les plus exposés, disparaissent dans la tourmente et laissent à découvert leurs aînés, qui sont obligés de faire face avec des forces moindres à des dangers croissans.

Il est encore plus difficile de calculer et d’évaluer cette usure que le total des disponibilités du début. Les nations peuvent la dissimuler longtemps et voiler sous une attitude énergique les défaillances intérieures et les signes de faiblesse. C’est ainsi qu’à première vue, l’Allemagne se défend de paraître épuisée, aussi bien par la voix des porte-parole de l’opinion nationale que par les manifestations offensives de ses armées. Elle se targue d’avoir livré à la publicité les listes de ses pertes, montrant ainsi qu’elle ne craint pas que l’on fasse les soustractions, que sa force restante demeure supérieure à celle des Puissances, qui font le secret sur leur déficit.

En effet, on peut établir, d’après les documens allemands, le compte approximatif des pertes subies par les armées allemandes, mais ces chiffres sont sujets à caution, car il est permis de croire que les listes dressées par les Allemands sont aussi inexactes que leurs communiqués. Ainsi les chiffres les plus récens donnent, fin mars, un peu plus de 700 000 morts, 1 700 000 blessés, 350 000 disparus. Ils sont manifestement au-dessous de la vérité, surtout en ce qui concerne les morts. Les Allemands combattent sur deux grands fronts, ils ont presque toujours été les assaillans, ils ont poursuivi de terribles et opiniâtres attaques avec une tactique impitoyable, et sans doute nécessaire, de formations denses et massives. Sur l’Yser, devant Ypres, en Pologne, et actuellement à Verdun, leurs pertes ont été extrêmement cruelles. Dans l’hiver 1914-1915, les batailles de Pologne ont été particulièrement dures ; beaucoup de blessés n’ont pu être secourus et ont dû succomber dans la neige et sous