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sortir de Paris et se réfugier à Ronjoux, si la Revue ne pouvait plus continuer de paraître, ou, si elle avait une seule chance de durée, rester à son poste de travail coûte que coûte.

Or, après avoir compté son monde, il conclut que, les ressources matérielles ne manquant pas, avec les rédacteurs présens on pourrait faire les numéros, chacun s’y mettant et apportant son aide à l’œuvre commune... l’avenir était bien noir, mais le fondateur aurait considéré le départ, dans ces conditions, comme une défection : il fallait durer, alors il resta, et dura.

Avec un personnel de plus en plus restreint, le plus souvent sans l’aide de son fils appelé au dehors par le service, il fit, je l’ai dit, face à tout. On a affirmé que la guerre l’avait miné, qu’il était mort de la guerre, c’est possible, et ceux qui ont fait cette remarque l’ont suivi de près et connurent son intimité ; d’ailleurs il a dit lui-même que ces mois de siège comptèrent double dans sa vie. Il donna là un gros effort de travail, mais un effort moral plus douloureux encore : ce vieux combattant tint à prêcher d’exemple et, avec sa Revue, voulut relever l’énergie de ceux qui la liraient, exalter leur patriotisme, réveiller leur foi. Il travailla jusqu’à tomber de fatigue, il passa souvent ses nuits ; il ne fut pas malade, il ne fut malade qu’après, alors il se sentit, comme on dit, « touché. » Mais tant qu’il se vit utile, il voulut continuer : il y mettait son point d’honneur.

Cependant, il craignit de manquer de copie. On a vu qu’il en demandait à Victor Cherbuliez au moment où Paris allait être isolé du reste de la France, il en demanda à George Sand, qui put lui faire parvenir les derniers feuillets de Césarine Diétrich avant l’investissement, puis pendant l’armistice, le Journal d’un voyageur pendant la guerre, et Francia. Il fit appel à A. Mézières, E. Caro, M. Du Camp, Renan, Saint-Marc Girardin, tourmenta Sandeau en vain, obtint d’Auguste Barbier Les fils des Huns, de Sully Prudhomme les Stances sur le siège et la charmante Mare d’Auteuil


Où mille insectes fins viennent mirer leur aile...


publia des nouvelles d’Erckmann-Chatrian, d’Albane [1], d’Amédée Achard ; des articles de Quatrefages, Blanchard,

  1. Pauline Caro.