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grand Empereur. Le prince de Hohenzollern-Hechingen, entre autres, priait le Ciel « de prolonger à Sa Majesté Impériale des jours aussi brillans de gloire que précieux pour l’Empire français, pour les gouvernemens voisins et particulièrement pour les Etats germaniques ! »

Le farouche Treitschke s’indignait, en 1872, de toutes ces flagorneries. « N’est-il pas certain, disait-il, que toute l’Europe (y compris la Prusse) a contribué à créer cette fameuse vanité du peuple français ? Inutile d’insister. La vieille honte est désormais lavée et expiée. Le temps où de braves Allemands, comme Karl Friedrich de Baden et le vieux Lampe, bourgmestre de Brème, pouvaient mettre leurs noms au bas de pareilles lettres, nous apparaît aujourd’hui comme un mauvais rêve ! »

Eh bien ! dussions-nous troubler le repos des historiens qui ont succédé à l’austère et impitoyable Treitschke, nous nous flattons, grâce au formidable dossier réuni par la Commission d’enquête sur les papiers des Tuileries et par Henri Bordier en 1872, d’avoir remis en leur vraie lumière les flatteries, les adulations, les supplications, les requêtes et les demandes incessantes d’argent, d’honneurs, de titres, de faveurs de toute sorte adressées à Napoléon III par les plus humbles citoyens de la Prusse comme par ses plus hauts personnages. L’Allemand n’est pas seulement, ainsi que le démontre cette affreuse guerre, un être menteur, perfide et barbare ; c’est aussi, quand son intérêt l’y pousse, un être plat et servile. « Sous un régime sans honneur, disait je ne sais quel écrivain, tout le monde tend la main ; les villes comme les individus sollicitent. » Mais il vaut mieux finir par le mot terrible de Montalembert qui s’applique à cette race affamée et insatiable, honte et calamité du monde entier : « Un peuple de solliciteurs est le dernier des peuples. »


HENRI WELSCHINGER.