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moindre n’était pas d’affecter la confiance et l’espoir, alors qu’elle pleurait son enfant. Cependant, à George Sand, de temps à autre, elle confiait discrètement sa peine ; celle-ci aussi était mère, elle savait comprendre la douleur des autres mères, et la pieuse Mme F. Buloz eut toute sa vie pour George Sand une fervente affection... Lélia l’aimait. Autrefois, dans leur jeunesse, les différends entre le directeur de la Revue et le romancier furent fréquens, vifs souvent. Mme Buloz les apaisait, et George Sand l’appelait : « le petit ange de paix. »

Donc, auprès d’elle, Mme F. Buloz pleurait son fils, « la joie de ma vie et de mon cœur, la sécurité de l’avenir, la protection, le guide de sa sœur et de son frère, l’aide, l’ami de ce pauvre vieil homme qui se reposait avec tant de confiance sur l’intelligence, la douceur, la bonne grâce de ce cher disciple... Vous comprenez cela, n’est-ce pas ? Il suffit d’être mère, il suffit d’avoir connu l’enfant que nous pleurons [1]. »

Mais ces abandons étaient rares ; d’ailleurs sa vaillance lui devint nécessaire ; pour les sacrifices, elle était prête à les supporter : elle avait consenti le plus douloureux.

En septembre 1870, sa sœur, Mme Rosalie Combe, qui habitait la Provence, s’inquiétait de la situation ou Mme Buloz allait incessamment être acculée, enfermée dans Paris. Mais l’assiégée la rassure avec sérénité ; pour un peu même, elle reprocherait à sa sœur de ne pas considérer les événemens avec suffisamment de sang-froid.

« Ma bonne et chère sœur, lui écrit-elle, calme-toi, je t’en supplie. Nous allons subir une crise, mais Dieu permettra qu’elle ne nous accable pas. » D’ailleurs, elle compte sur la défense qui « va être héroïque ; Paris est plein de soldats bien déterminés, les fortifications sont solides, les forts armés et défendus par les marins, les meilleurs artilleurs du monde, » puis elle termine crânement par ces mots : « Je vous écrirai jusqu’à ce qu’on nous enferme [2]. »


II

Ils furent enfermés le 19.

François Buloz se débattit un instant entre ces deux alternatives :

  1. Collection S. de Lovenjoul : Mme F. Buloz à G. Sand. 5 août 1870. Inédite.
  2. Mme F. Buloz à Mme R. Combe, 10 septembre 1870, inédite.