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recevait aucune pension et n’avait touché aucune indemnité. Seulement, le caissier de l’Empereur lui remettait de temps à autre des sommes d’argent (environ 3 000 francs pour l’édition de Borghesi, par exemple) qu’il distribuait entre ses amis, élèves ou secrétaires berlinois, travaillant sous sa direction et au profit de sa gloire. Rien de plus légitime, de plus honorable, que de prendre part à une œuvre scientifique et d’en tirer un juste émolument. Rien même d’extrêmement incorrect à recevoir de l’Empereur (après l’avoir demandé) 500 francs pour quelque Allemand nommé Walter ou autre. Mais n’est-il pas odieux, lorsqu’on est dans de tels rapports de courtoisie et de solidarité avec les savans français, lorsqu’on a brigué auprès d’eux l’honneur de s’entretenir familièrement avec le souverain du pays, lorsqu’on a diné à sa table, qu’on a savouré ses faveurs, de prendre la parole contre ceux dont, la veille, on serrait les mains, assis à leur foyer ? Et quelle parole ! Dire de ceux-là mêmes « que la belle Internationalité enseigne de respecter » qu’ils vont tomber « de la blague dans le désespoir ; » dire que « la saleté de la littérature française n’est comparable qu’à la saleté des eaux de la Seine à Paris ; » dire que « ce salon des Tuileries, » où l’on a été accueilli, « était comme un salon du demi-monde ; » et ce ne sont là que les menus propos, les gaietés de cette haine germanique. Leur auteur était plus sérieux en signant les adresses de la municipalité de Berlin au roi Guillaume. Lui-même a bien senti le louche de la situation, lorsqu’il écrivait à l’un de nos académiciens, dans une lettre dont le journal le Moniteur (12 janvier 1872) n’a cité que quelques lignes : « Je demande si votre Académie veut continuer ses rapports avec la nôtre, ou plutôt, car il s’agira de cela, remplacer à cet égard l’Empereur, et si le public le souffrira... » Cette lettre est du 13 mars 1871. Ainsi, après tout ce qui s’était passé, à peine le siège de Paris levé, l’illustre Allemand nous revenait radouci et obséquieux.

Et j’ajoute à ces justes observations de Henri Bordier que le même Mommsen, après avoir insulté la France dans ses « deux lettres aux Italiens, » a supplié Renan de soutenir sa candidature à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et que cette Académie a eu la faiblesse de l’élire. Cela ne se passerait pas ainsi aujourd’hui, et nous ferions à l’égard de Mommsen ce que nous avons fait à l’égard des signataires de l’odieux Manifeste des 93.