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des destins du monde civilisé... Et j’en passe ! Tout cela exprimé dans des phrases amphigouriques, des éloges et complimens qui valent leur pesant d’or, si l’on en croit ces courtisans !

La sollicitation, la quémanderie, la mendicité allemandes se portent sur tout et utilisent tout pour arriver à leur but, c’est-à-dire pour obtenir des honneurs, des avantages, des titres et de l’argent. Toutes les classes de la société font l’assaut des Tuileries. Des tailleurs, des aubergistes, des musiciens, des peintres, des armuriers, des calligraphes, des chambellans, des directeurs de cirques, des coiffeurs, des conseillers auliques, des conseillers de gouvernement, des consuls, des dentistes, des médecins, des chirurgiens, des docteurs de toutes les sciences, — et Dieu sait s’il y en a en Allemagne, in nostro docto corpore ! — des ébénistes, des céramistes, des inspecteurs ou des commissaires, des écrivains et des journalistes, des fabricans, des industriels, des commerçans, des fonctionnaires de tous les acabits, des fumeurs, des priseurs, des imprimeurs, des instituteurs, des jardiniers, des astronomes, des poètes, des juges, des libraires, des négocians, des barbiers, des brocanteurs et des gens de tous métiers, forgerons, pâtissiers, maçons, remouleurs, menuisiers, tonneliers, relieurs, selliers, potiers, chapeliers, vétérinaires, tous sollicitent l’Empereur ou son chef de cabinet ou son secrétaire. C’est une bande, une troupe, une légion, une foule qui se renouvelle sans cesse, les mains crochues et les dents longues. Il y a des solliciteurs qui envoient leur portrait à l’Empereur et demandent le sien en échange ou celui de la chère famille impériale. Quant au petit Prince, il est, lui aussi, assailli de complimens et de sollicitations ou de présens. On lui envoie force poèmes sur sa naissance, son baptême et sa première Communion. On lui offre des broderies, un ruban de cou, une grammaire, des bonbons, des pains d’épice, une boîte de soldats de plomb, une petite chaise, une paire de bottes, une Bible hébraïque imprimée à Amsterdam en 1723, formant quatre volumes de grandeur colossale, reliés en bois et en cuir et du poids de cent kilos [1]. Que ne ferait-on pas pour l’enfant de France, le fils de France, le roi d’Algérie, le prince

  1. Ces présens ont bien la forme du goût allemand. Ainsi, je me rappelle avoir vu, au cent cinquantième anniversaire de Gœthe, à Francfort, des bustes du poète en saindoux chez les charcutiers et en chocolat chez les confiseurs, avec ces mots : Feine Chocolade.