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On veut guérir à tout prix le malheureux souverain du rhume, du mal d’estomac, des douleurs de jambe, de la goutte, de la pierre, du diabète, du choléra, de maladies de cœur, de la sciatique et d’une foule d’horreurs dont il n’était heureusement pas affligé.

Voici l’une des plus étonnantes requêtes. Elle est du sieur Daniel Vogel de Kleinruckerwalt. Elle est datée du 26 septembre 1869. L’auteur prend la liberté « d’informer Sa Majesté qu’il a été favorisé d’un rêve tel qu’il doit l’écrire, afin de mettre sa conscience en repos, Veranlassung dazu giebt mein Gewissen zu beruhigen... Dans ce rêve, il a été conduit à travers des arcs de triomphe et des palais, jusqu’à la chambre du monarque. Un ami, auquel il en a fait la confidence, y a vu un avertissement du Ciel et lui a dit : « Toi, l’homme de la magie et de la sympathie, c’est Dieu qui te désigne évidemment pour la guérison des maladies incurables, et comme les journaux venaient d’annoncer que l’empereur Napoléon est malade, c’est manifestement toi qui dois le guérir. » De là cette lettre... Elle contient les prescriptions suivantes : « 1° Daigne Votre Majesté écrire le nom de son défunt père ; 2° celui qui lui est propre ; 3° envoyer une chemise sale portée par elle ; 4° faire une collection de rognures de cheveux, de poils et ongles, de toutes les parties du corps, envelopper le tout dans une sorte de saucisse ; 5° appeler un chirurgien et faire extraire du pied quelques gouttes de sang, trois ou quatre, et en imbiber le linge en dessus ; 6° à partir de ce moment, garder sans faute la première urine et précieusement l’introduire dans la vessie d’un porc récemment tué et la suspendre ainsi dans une cheminée pendant deux mois. Enfin enterrer le tout ensemble dans un fumier. » Et ravi de sa trouvaille, Vogel prophétise : « Le remède est souverain !... » Je néglige encore les onguens particuliers, les bains sulfureux, les eaux minérales de Kœnigsdorf, Schwalbach, Burtscheid, Gastein, Weldungen, Franzensberg et autres, les fluides magnétiques, les spécifiques Antirheuma, etc. Des centaines de médecins, carabins, apothicaires, rebouteux, empiriques et charlatans tudesques croyaient pouvoir s’adresser en toute liberté à la naïveté et à la bourse de l’Empereur. C’était à qui offrirait des tisanes, des potions, des toniques, des philtres et des dictames... Rien de plus bouffon que ces lettres écrites généralement dans le style des Diafoirus de Molière !