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n’est ni mort ni fou ; il s’est tout simplement réfugié à Limoges, dans son pays.

« Tout à vous,

« F. BULOZ. »


Mme F. Buloz ajoutait :

« Vous voyez, mes chers amis, où nous en sommes, Edouard [1], qui descend la garde, dit qu’on va se battre à Châtillon, et que l’ennemi est dans le bois de Verrières. On a beaucoup brûlé ces nuits dernières depuis Meudon jusqu’à Clamart, mais pas assez pourtant. L’esprit est bon à Paris, on veut se défendre. La population entière est sous les armes, depuis les enfans jusqu’aux grands-pères. Que Dieu nous assiste, qu’il nous fasse sortir de l’horrible position où nous sommes !

« Marie [2] est arrivée, je l’espère, à la Rochelle hier, sa dernière lettre, celle de ce matin, est datée d’Angers. La pauvre chère a eu une peine extrême à traverser ce biais si encombré... Mes chers amis, quelle douleur d’être ainsi séparés. Je suis bien accablée. On va se battre vers Châtillon et Verrières, toujours ce bois envahi.

« J’établis une ambulance chez moi au quatrième. Nous allons mettre le drapeau et les brassards de Genève. Me voilà, ainsi que ma bonne voisine, transformée en infirmière ! Hélas ! mes chers amis, à quoi serions-nous bonnes ici, si ce n’était à cela !

« Mon mari me charge de vous rappeler tout ce qu’il attend de vous pour la Revue. Moi, je vous rappelle ce que j’attends de votre dévouement, de votre amitié surnaturelle, si l’Ouest était menacé, si Marie vous appelait à son secours... écrivez-lui, je vous en prie... Maintenant, embrassons-nous, je vous aime de tout mon cœur.

« C. B. [3] »

On le voit, Mme F. Buloz, énergique elle aussi, se multipliait. C’était une femme d’une haute intelligence, douée de l’esprit le plus fin, la digne collaboratrice d’un tel homme. Elle l’avait, à ses pauvres débuts, encouragé et soutenu, et certainement cette charmante présence lui avait maintes fois allégé sa tâche ; elle

  1. Edouard Pailleron son gendre.
  2. Sa fille, Mme Edouard Pailleron.
  3. Inédite