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armé d’une loupe, lui aussi, afin de mieux examiner les objets d’art et les pendules dont il fait l’inventaire. Pourtant, c’est le jour où l’on célèbre l’anniversaire des Hohenzollern. « N’êtes-vous pas encore prêt ? Les invités sont tous arrivés, » lui dit son père, en grande tenue, indigné. — « Laissez-moi seul, répond le jeune homme. Au lieu de me réjouir au cinquième centenaire des voleurs de notre famille, je préfère jouir de la collection que j’ai moi-même réunie, en une seule année, par ma propre industrie. » Ou bien encore, on voit Mars, dieu de la guerre, devenu un général allemand qui interpelle la Mort, un peu lasse de faucher sans cesse : « Dis donc, tas d’os, ne fais pas attention à ce que j’ai dit de mon intérêt pour les Polonais. Coupe-les, fauche-les, sans pitié. Je ne me soucie pas qu’il reste des gens vivans sur le sol, mais dans ce sol je dois préparer un terrain libre pour les immigrans qui arriveront du pays natal. »

En Italie, la caricature, d’abord neutre puis alliée, est beaucoup moins amère. Elle est aussi moins saisissante, du point de vue graphique. La légende y est toujours très supérieure au dessin. Le peuple le plus fin du monde n’est jamais à court d’esprit, mais son art, toujours orienté vers le Beau, n’a jamais condescendu à s’appliquer aux menues besognes de la catagraphie. C’était vrai déjà, du temps de Léonard, dont les caricatures sont de simples « charges » et n’ont rien de psychologique. Les peuples et les époques d’art hautement plastique et idéaliste ne connaissent point la caricature fine et nuancée : elle n’apparaît que chez les peuples et aux époques d’art « caractériste » et réaliste.

Toutefois, l’idée satirique suffit parfois pour rendre son signe précieux. Telle est celle des deux rats figurés par le Pasquino, de Turin, dans les premiers jours de la guerre. C’est le Rat de Paris et le Rat de Berlin, en face l’un de l’autre, des deux côtés du Rhin et songeant aux invasions et aux sièges futurs : « Lequel de nous aura l’honneur de servir de comestible ? » — se demandent-ils. Lorsque, plus tard, il est question, pour l’Italie, de prendre part au conflit, le Numero, de Turin, résume ainsi l’attitude de l’Allemagne. Un Prussien tient dans sa main une marionnette qui a la tête d’un Turc et, de ses doigts cachés sous la figurine, lui fait manœuvrer un sabre de bois, le tout pour effrayer la pauvre petite Italie, encagée sur sa chaise, par la neutralité. L’enfant, apeurée par le pantin, serre craintivement