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Dans un coin, le roi Ferdinand de Bulgarie tâche de réveiller le Sultan, endormi, par ses joyeux propos : « Courage, Mahomet, à nous deux, nous lancerons un Punch balkanique ! » Le prince Henri de Prusse chante à tue-tête et l’Empereur, debout, les bras croisés, furieux, clame : « L’humour allemand au-dessus de tout ! » — ce que, d’ailleurs, nul n’écoute, sauf le Dr Sven Hedin, qui applaudit, et s’écrie : « Oh ! Guillaume, vous êtes un homme étonnant. Vous auriez dû être lama ! » En vérité, quand on songe à tous les rôles qu’il joua, jadis, avant de débuter dans la tragédie, cela semble presque une satire des temps de paix.

Chez les autres pays alliés, la caricature a été moins active. Pourtant, la Mucha, de Varsovie, le Novi Satirikon de Petrograd, le Numero, le Pasquino, l’Uomo di Pietra et l’Asino en Italie, donnent fréquemment des images dignes d’être retenues. Telle, cette satire parue dans la Mucha, en 1914, lorsque les Allemands voulant déborder notre aile gauche, montèrent, montèrent indéfiniment vers le Nord. Nous sommes en Amérique, devant les chutes du Niagara. L’oncle Sam, gigantesque, avec sa queue de pie et ses gros souliers traditionnels, se penche, fort intrigué, sur une armée de myrmidons qui traverse le fleuve. Il reconnaît, soudain, le casque à pointe et s’écrie : « Qu’est-ce que c’est que tout ça ? L’armée allemande ? D’où sortez-vous ? » Campé sur son cheval, le général de Dummerjahn lui répond : « Depuis trois semaines, nous faisons un mouvement enveloppant sur l’aile gauche des Alliés et cela nous a conduits ici. Maintenant, les Alliés ne nous échapperont sûrement pas. »

L’expédition d’Egypte inspire à la même Mucha une satire semblable. Tous les sphinx se mettent à rire, de toutes les fentes et les crevasses de leurs pierres millénaires, et les Arabes s’écrient : « Allah ! qu’est-ce qui est arrivé ? — C’est, répond le Sphinx, que les Allemands veulent conquérir l’Egypte, à travers le désert de Libye. Il y a de quoi faire rire même les pierres ! » De même, la campagne de Russie lui parait un accès de folie. Elle représente un Napoléon regardant à la loupe un tout petit Guillaume II, lilliputien, qu’il a pris dans le creux de sa main : « Et ce pygmée a le toupet de prétendre me remplacer ! » dit l’Empereur, « la seule ressemblance sera que son Waterloo arrivera juste un siècle après le mien. » L’ironie de l’artiste slave est parfois plus amère. Dans un de ses derniers dessins, il montre le Kronprinz, en déshabillé,