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Un autre, emprunté au Bulletin, de Sydney, est également saisissant. L’artiste a voulu stigmatiser l’attitude de ceux qui refusent le service obligatoire. Il a représenté une galère antique où rament de jeunes et robustes Anglais enchaînés. Un Teuton sauvage, aux longues tresses, leur laboure les épaules à coups de fouet et, sous le dessin, on lit ces mots : « La fin des indolens. Ils ont préféré l’esclavage à la conscription. »

Indignation contre le crime, raillerie des échecs de l’ennemi et de ses propres faiblesses, cela ne suffit pas au Punch, qui se souvient encore, au milieu des horreurs de la guerre, qu’il se doit à ses lecteurs de les faire rire, ou au moins sourire, et qu’il s’appelle le Charivari de Londres. Il a eu, pour son premier numéro de 1916, une idée fort ingénieuse. Il a imaginé qu’il était soumis à la censure impériale allemande et qu’ainsi texte et dessins devaient être modifiés selon l’humour germanique. La couverture même, fameuse depuis le temps de Lemon, a subi quelques améliorations. Le Polichinelle bossu et ventru, qui se grattait le nez, a été remplacé par le Kaiser qui redresse ses moustaches, le roquet anglais, par un basset allemand qui fait le beau ; le lion britannique, qui souriait sur le chevalet de Master Punch, tourne le dos et fuit honteusement devant son nouveau peintre ; la Bacchanale qui errait sur le soubassement ne montre plus le triomphe de Silène-Punch, mais du Kronprinz, le tambourin où frappe un petit génie et qui rend le son : à Calais ! et l’ophicléide où souffle un génie ailé : Gott strafe England ! — cependant que des cornes d’abondance, muées en gigantesques saucisses, sortent des légions de petits « boches » éperdument amusés par ce triomphe de l’esprit germanique.

Il a imaginé, ensuite, ce qui arriverait Si le Kaiser devenait le directeur du Punch, et notamment ce que serait le diner des rédacteurs du journal. La scène est truculente et digne de Hogarth. C’est vraiment une belle fin de repas de corps. Les convives se tiennent assez bien : un seul a mis sa botte sur la table, mais tout le monde, comme il convient, parle à la fois : « Regardez ! des ballons ! » dit le comte Zeppelin en montrant les cercles de fumée qu’il tire de sa pipe., « Je suis un sous-marin : voyez mon périscope ! » dit l’amiral de Tirpitz, en sortant de dessous la table et en montrant un bock posé sur son crâne dénudé. Il rit, mais cela ne fait pas rire M. de Bethmann-Hollweg, qui a le vin triste et lui crie : « Cessez, Tirpitz, ce n’est pas drôle ! »