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est là, derrière le rideau, en haillons, coiffée du bonnet phrygien ; elle tient une torche, la main basse, et sur la fumée remontante de cette torche on lit : Révolution. Ou bien le Kaiser, toujours assis devant ses atlas, levait son verre pour boire : « Au jour... » mais avant qu’il ait pu achever son toast, une main, la main d’un spectre horrible, l’a saisi au poignet et lui montrant un gibet prêt, avec le bout de la corde qui s’y balance, le spectre termine ainsi le vœu : «... du Jugement ! » Même sort attend Ferdinand de Cobourg, toujours d’après le Punch. Il s’avance, à pas prudens, le long d’une ruelle, le couteau à la main, pour entrer dans la rue de la Serbie et y faire son mauvais coup, mais il est inquiet, car dans l’ombre d’une voûte, sur ses traces, se glisse un homme armé d’un couteau semblable, et sur le manteau de cet homme qu’il ne voit pas, nous lisons ce mot : Révolution. En attendant que son propre peuple désavoue l’agresseur, la voix des Peuples le condamne, sur tout le globe, et le Bulletin, de Sydney, montre le Teuton, revenu à l’âge de bronze, nu, hagard, qui fuit, sa lance homicide à la main, lapidé par une foule furieuse : c’est une vision comme celles que nous donnait jadis M. Cormon. Voilà l’Ismaël des Nations, dit le journal australien, et il ajoute : « Et ce sera un homme sauvage et il sera l’ennemi de tout homme et tout homme sera son ennemi. »

Tel est le ton général de la caricature anglaise. Mais elle ne se tient pas toujours à cette hauteur biblique. Elle ne s’indigne pas toujours contre la force ; elle raille aussi la faiblesse : faiblesse militaire, faiblesse diplomatique. Que les légions du Kaiser n’aient pas pu triompher de la « misérable petite armée du général French, » et que cette armée soit devenue la grande armée de Kitchener, c’est un échec à commémorer. Et l’on a vu l’Empereur et son fils observant, à la lorgnette, le lion britannique, qui leur parait gros comme un rat, — mais ils avaient regardé par le mauvais bout de la lorgnette et le lion bondit sur eux, formidable. Ils avaient cru pouvoir aller à Calais : ils n’y sont jamais parvenus. Et l’on voit, dans le Punch, le Kaiser en grand costume de général et gants blancs qui chante, au milieu de son état-major, un vieux refrain de music-hall, qu’il a ainsi rajeuni : « Y a-t-il quelqu’un qui aurait vu Calais ? » Et tous les autres généraux, appuyés sur leurs sabres, l’air dolent et désespéré, reprennent