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sans elles il n’y a pas de match, pas de cricket possible, ni de vie en commun dans l’humanité. « Laissez-moi vous expliquer... » dit le Germain au moine qui écrit l’histoire de la Belgique sur le grand livre des siècles, en vue des villes détruites et des populations massacrées. — « Je n’écris pas les explications, mais les faits, » répond l’Histoire. Les explications seraient, d’ailleurs, pitoyables. Car si l’on peut violer une convention, sous prétexte que les circonstances ont changé depuis qu’on l’a signée, quel est non pas seulement le traité, mais le contrat, l’acte de vente, la promesse la plus banale et la plus ordinaire qu’on ne puisse, du matin au soir, répudier à plaisir ? Et si c’est une guerre « préventive, » que celle qu’on déchaîne contre le monde entier, quand le monde entier incline au désarmement, est-il possible d’imaginer une seule agression que ce sophisme ne justifie ? Caïn a tué Abel, préventivement : qui sait si Abel n’aurait pu inventer quelque arme perfectionnée, un nouveau « silex éclaté » qui lui aurait procuré quelque avantage ? Le loup a tué l’agneau « préventivement : » l’agneau, sous couleur de se désaltérer, avait « repéré » la place du loup, près de l’ « onde pure, » et allait, peut-être bien, prévenir les chiens du troupeau... Il faut se méfier d’un agneau qui se désaltère... Enfin, si l’on appelle « philanthropie » et « humanité » le massacre d’une population entière pour abréger la guerre et limiter ses horreurs, qu’est-ce qu’on appellera, dans la langue de Bernhardi, « barbarie » et « cruauté ? » Mieux vaut, pour l’honneur de la raison humaine, avouer qu’on a frappé parce qu’on était le plus fort et qu’on a violé les règles du jeu parce qu’on a pensé que nul ne serait là, pour les faire respecter. Ainsi, on n’ajoutera pas un crime contre l’Esprit au crime contre l’humanité. Car le crime contre l’Esprit ne sera jamais pardonné. C’est ce que signifie une très belle planche de Will Dyson, dans ses Kultur Cartoons, intitulée : « La Voix du ciel. » Sous un haut portique de Ninive ou de Thèbes, un Kaiser, casqué, se courbe, se cache, se sauve ébloui : c’est qu’à travers le portique, apparaît un soleil aveuglant. Et ce soleil grandit, s’approche, éclate, entouré de millions d’anges, les anges à peine perceptibles, dans la lumière qu’on voit au Paradis de Gustave Doré : — et de toutes ces splendeurs, une voix, la voix du Ciel, répond au paradoxe de l’avorton chétif : « Notre loi ne connaît pas de nécessité.. »