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respectueusement. Et la Maladie dit à l’Empereur : « Salut, maître ! J’en ai tué des dizaines, mais vous en avez tué des milliers ! » Enfin, le Punch de Melbourne montre une longue théorie de femmes en deuil, pleurant et priant, que leurs enfans, pendus à leurs voiles noirs, tâchent de consoler, et il intitule cela : « Veuves et orphelins Made in Germany. »

Voilà qui est net. Mais si l’horreur presque physique des cruautés germaniques a inspiré les symboles anglo-saxons, on sent pourtant que le coup brutal, tout seul, n’eût pas soulevé la conscience britannique, comme la déloyauté du prétexte d’abord et ensuite l’hypocrisie du but : c’est-à-dire le péché contre l’Esprit. L’assassinat de miss Cavell a moins blessé l’âme anglaise que le mot « ce chiffon de papier. » Des villes entières brûlées lui ont paru un spectacle moins monstrueux que le Gott mit uns. Dans le Graphic, Edmund Sullivan figure continuellement le Kaiser agitant le papier où la signature de l’Allemagne garantit la neutralité de la Belgique et y mettant le feu : le papier flambe et met le feu, à son tour, à une corbeille de papiers pleine d’autres traités qui incendient la mappemonde entière, — et le Kaiser et le kronprinz s’en vont, d’un pied léger, en fumant leur pipe allumée à l’incendie universel. Ou bien, encore, l’Homme au casque pointu patauge dans le sang de la Belgique, en agitant toujours le traité en flammes, comme une torche... David Wilson le montre en « Empereur de la Paix, » des ailes blanches attachées à ses épaules, des lys blancs sortant de son fusil : seulement, la colombe qu’il tient au bout du doigt, comme le fauconnier son gerfaut, prend insensiblement des airs de Taube, et de son bec dégoutte du sang, — tandis qu’à l’horizon des villes brûlent sous le ciel noir. Le même artiste évoque, auprès du Kaiser habillé en amiral, l’ombre de son modèle : l’écumeur de mer du temps de la reine Elisabeth. Et ce bandit, qui porte encore le serre-tête, les larges boucles d’oreilles, le pistolet du partisan, se croise les bras avec indignation, — car, au loin, une colonne d’eau fuse sous le chapelet de lumières qui annonce un paquebot dans la nuit : une torpille vient d’éclater, — et il dit : « On l’appelle un pirate ! On oublie que les pirates, eux-mêmes, jouaient selon les règles du jeu ! »

Et à cela pas d’excuse ! Le jeu a des règles, la civilisation a des lois : il se peut qu’elles soient conventionnelles, mais