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lui fait horreur, mais moins la guerre que la façon dont on la fait. On ne se sent pas en présence d’un pacifiste convaincu, mais d’un loyaliste. Le Français caricature le manque d’élégance, le Hollandais le manque d’humanité, l’Anglais, surtout le manque de bonne foi. Le business man, en lui, ne comprendra jamais qu’un souverain ait pu protester sa signature au bas d’un traité, et le sportif qu’un général ait triché, pour y gagner, au jeu de la guerre. Si l’homme a fait quelques progrès, depuis l’âge de pierre, c’est qu’il s’est entraîné à tenir sa parole et à lutter, lorsque la lutte est inévitable, avec le moins de cruauté possible. S’il l’oublie, il retourne instantanément à la condition de l’anthropopithèque. Les progrès dont il se sert n’y font rien. Il ne sera pas moins un gorille parce qu’il connaîtra les propriétés de la nitroglycérine ou de la balistite qu’aux jours lointains où, pour assommer son rival, il se saisissait d’un quartier de roche ou emmanchait à quelque branche d’arbre un silex convenablement éclaté. La science, avec ses engins nouveaux de destruction, ne fera que surexciter ses instincts de gorille, en leur donnant toute liberté de s’épanouir.

C’est ce qu’a très fortement exprimé Will Dyson dans plusieurs de ses Kultur Cartoons. Il a imaginé un vieux savant, en pantoufles, un Ostwald ou un Guttman, malingre, souffreteux, tout en cerveau, flottant dans sa redingote et son châle, qui confère avec un anthropopithèque. Celui-ci a le front fuyant et les bras formidables. Et, à la lumière du laboratoire, le cerveau du XXe siècle montre à la brute des temps où les siècles n’étaient pas encore commencés, une fine éprouvette pleine d’une substance mystérieuse et lui dit : « Ensemble, mon cher habitant des Cavernes, nous serions irrésistibles ! » Il semble que la brute ait compris, car elle laisse tomber la hache de silex qui lui servait jusque là et passe affectueusement son bras sous le bras du professeur... Plus loin, nous voyons un chimpanzé, pendu par une patte à un Taube que dirige un autre singe et prêt à laisser tomber les bombes accrochées à ses trois autres pattes, sur une capitale moderne : sur ses dômes, ses écoles, ses hospices, ses églises, ses musées. Et les deux singes sont coiffés du casque à pointe, et c’est intitulé : Merveilles de Science... Que celle-ci ait fait ou non faillite, dans sa prétention d’améliorer, à elle seule, l’humanité, c’est ce qui n’est pas en question ici. Mais il semble bien que Will Dyson ait trouvé,