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branlant il écrit avec application : « Le magasin est ouvert, comme d’habitude, l’après-midi... »

C’est que les Anglais et les Français, si différens en tout et en bien des choses si contradictoires, se ressemblent en un point : le mépris de la force brutale, le dédain du fait accompli, — dès lors que ce fait a blessé leur conscience. Nul peuple au monde n’est moins fataliste que ces deux peuples, moins disposé à s’incliner devant la conjuration des forces humaines ou la conjonction des astres. Nul n’a mieux entendu le Tu, ne cede malis... du poète latin. Le Français, auquel on montre une masse prête à l’écraser, s’en moque. L’Anglais ne l’aperçoit même pas. L’esprit, seul, qui anime cette masse les intéresse tous les deux, mais ils l’évoquent au tribunal de leur conscience individuelle, et si cet esprit leur paraît injuste ou faux, ils le méprisent, sans plus.

« Say, old chap, aurais-tu jamais cru, que la Marseillaise irait si bien avec le God save the king ? » dit un grand diable de piper des Scots guards, orné du kilt et du béret national, en arpentant une route de France, pipe à la bouche, les rubans de son béret flottant au vent... « T’épate pas, mon vieux, » répond le tambour Bara qui file à ses côtés, sabots aux pieds et une rose à la bouche, en allongeant ses petites jambes pour rejoindre l’énorme compas de l’English. « T’épate pas, t’en verras bien d’autres. » On dirait, à voir ce dessin de M. Louis Vallet, qu’on aperçoit l’humoriste français et l’humoriste anglais, si différens qu’ils soient l’un de l’autre, cheminant du même pas.

Mais la caricature anglaise a quelque chose de plus tragique. Où que ce soit, dans le vieux Punch ou chez ses deux filleuls : le Punch de Melbourne et le Hindi Punch de Bombay, dans la Westminster Gazette ou le Bystander, ou même dans le Cape Times ou le Bulletin, de Sydney, sur les plages les plus lointaines et sous les latitudes les plus diverses, partout où un homme de race anglo-saxonne prend la plume pour tracer un symbole de la Germanie et de la guerre, on se sent au pays de William Blake et de Shakspeare. C’est un jet de lumière sur un charnier : il éclaire, il frappe ; il ne scintille pas, ni ne joue.

Or, ce qui a frappé le plus l’humoriste anglais, dans toute cette affaire, c’est la faillite de la civilisation, la régression de tout un peuple vers les sauvageries et les perfidies animales. La guerre