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d’un ambulancier, qui croit encore aux conventions de Genève, le mot de M. Forain vise deux faiblesses, et, par là, il porte.

Une autre faiblesse de l’Allemand, ce fut sa prétention à une victoire foudroyante et à la rapide conquête de Paris. S’il ne l’avait pas affichée, ses succès dans le premier mois de la guerre eussent été suffisans pour que la raillerie ne sût où se prendre. Mais son infatuation fut plus grande que ses succès. : On se souvient du diner que l’Empereur devait offrir, à ses intimes, dans un restaurant célèbre, d’avance choisi, à Paris. La Vie parisienne s’en est souvenue, elle aussi. Elle a représenté une luxueuse salle à manger vide : la table mise, la nappe au chiffre impérial, les serviettes en bonnets d’évêque, le surtout en biscuit de Sèvres, les bouteilles de Champagne et les coupes, tout annonce qu’on attend d’illustres hôtes. Mais ils ne viennent point... et, à leur place, des rats grignotent le linge et des araignées tendent leurs fils entre les chaises et le surtout. — « Sire, voire potage refroidit... » Jamais plus petit signe ne résuma plus grandes choses.

Enfin, c’est une infatuation que de s’imaginer terroriser Paris avec des Taubes et des Zeppelins. M. Albert Guillaume l’a bien fait voir dans le Bystander. C’est une délicieuse scène de genre, surprise dans quelque jardin de Paris, au Luxembourg, par exemple, à l’heure de la promenade. Tout le monde a le nez en l’air pour regarder ce qui se passe dans le ciel. Une joie sans mélange règne autour de ces nez levés par la curiosité : nez de l’étudiant de trentième année, le doigt pointé en l’air, nez de l’élégante à face-à-main et de son compagnon assis, jambes pendantes, sur la balustrade, nez du monsieur à la jumelle, nez du petit garçon arc-bouté sur son cerceau, nez du petit chien intrigué de ce qui se passe. C’est une scène de paix pro- fonde, une des rares minutes où l’humanité oublie toutes ses misères pour s’attacher à une vision enchanteresse. C’est l’Heure du Taube...

Le Punch a traité, à peu près, le même problème psychologique, et la solution qu’il en a donnée marque une nuance du caractère anglais. Le Zeppelin a passé ; il a jeté sa bombe sur le village et, entre autres désastres, a mis en miettes la maison de l’épicier. Ce n’est plus qu’un risible et lamentable amas de décombres. Mais l’épicier, un vieil hommes à lunettes, n’est pas mort. Il prend donc un crayon et sur le dernier pan de mur